13 septembre 2018 | Rédaction Maman Vogue
Après avoir eu des enfants, dans les yeux des autres, nous sommes restée la même alors que nous nous sentons profondément changées. Dans une époque où les femmes de ma culture et de mon milieu sont plus libres que jamais, j’ai souvent l’impression que l’écart qui se creuse avec ma génération n’a jamais été aussi grand.
On se retrouvait à n’importe quelle heure, pour n’importe quelle durée et n’importe où. Nos journées avaient la légèreté du temps libre. Aujourd’hui, je connais aussi et plus souvent, les journées organisées, rythmées par les rituels et les besoins des enfants. Mon esprit est plus embrouillé par les multiples plannings à gérer et je suis, de fait, moins disponible. Et je me sens souvent incapable…de réussir à prendre des nouvelles de tout le monde, de répondre en moins de 3 jours au moindre texto (j’exagère un peu), d’être de tous les dîners, anniversaires, soirées, de rester concentrée sur une conversation complète. Ou bien de faire du sport comme elles, de ne pas être au courant des dernières avancées internationales ou bien des nouvelles tendances, de ne pas savoir ceci, de ne pas connaître cela. De couper court pour filer à la garderie, de prendre des appels pour les entrecouper de consignes pour mes enfants ou bien de proposer des créneaux téléphoniques pour écouter « calmement et sérieusement » mes amies. Elles sont si disponibles, si flexibles, si libres…
Quand nous sortons, je ne tiens plus passé une certaine heure. Pas que je m’ennuie bien sûr mais simplement, avec deux enfants en bas âge, j’ai accumulé une fatigue pesante et mon corps a besoin de se reposer pour pouvoir assurer chaque journée. Et puis, comme vous, je sais bien que ma journée de samedi ou de dimanche ne va pas commencer à 10h mais plutôt à 7 dans le meilleur des cas.
Et je me sens parfois si vieille de les voir se demander dans quel bar ils poursuivent la soirée alors que je sais que j’ai déjà baillé 50 fois et que je ne cherche plus que la compagnie de mon oreiller. Je sens me transpercer la blessure du décalage, de l’incompréhension mutuelle ou du désintérêt, leurs yeux dans lesquels j’imagine (sûrement) un peu de condescendance ou de pitié.
Souvent lors de dîners avec nos amis, je me sens comme à côté de la conversation. Au début, je racontais moi aussi mes préoccupations puis j’ai fini par réaliser que ça n’intéressait vraiment personne. C’est sûr que nos soucis tout matériels ou les questions quasi existentielles que l’on se pose sur les sentiments de nos progénitures sont des sujets totalement abstraits pour des gens qui ne sont pas eux-mêmes rentrés dans cette période de leur vie, à moins d’en faire leur métier. Pourtant, comme vous toutes, le sujet me passionne, j’ai besoin d’en parler.
Et finalement, parler de mon travail me semble parfois tellement secondaire que je ne parle plus de peur d’être sanctionnée par des regards détournés, des paroles coupées ou des « mmh » qui censurent…Et je me sens souvent nulle et inintéressante, l’impression que ce dont je souhaiterais discuter est bassement matériel, pas digne du moment…
Ce n’est pas vraiment noble mais aujourd’hui, je rivalise d’idées nouvelles pour faire face à tous les petits défis du quotidien, pour aider mes enfants à grandir et pour mettre de la gaieté dans notre vie de famille. Je chante des comptines, je créé des consignes et des tableaux de routines, j’invente des recettes pour cacher les légumes, je rivalise de créativité pour expliquer tout et rien, calmer les angoisses ou créer un peu de magie. Et ce n’est pas noble, ce n’est pas orienté vers un bien supérieur, c’est bassement pratique et appliqué à mon petit microcosme. Et je comprends très bien que ça ne fasse pas rêver.
Mais voilà, moi ça me rend heureuse. Et c’est sans doute là le challenge majeur.
Nous parents nous sentirons toujours impuissants à expliquer le bonheur que c’est de passer ses journées avec ses enfants autour de toutes leurs habitudes et de tous les soins dont ils ont besoin.
Mes amis qui ne connaissent pas encore cet état y sont totalement extérieurs, ils ne voient que la multiplicité des tâches à abattre pour « s’occuper » de ses enfants sans l’énorme couche de joie et de plaisir. Dans le fond, je ne suis pas triste de partir plus tôt le soir, je ne suis pas aigrie d’être fatiguée, je ne me déçois pas tant que ça, je suis dans cette période de ma vie et j’en suis infiniment heureuse.
Pour rien au monde, je ne redeviendrais comme avant, pas que je rejette cette ancienne moi qui ressemble beaucoup à mes amis mais la nouvelle moi aime son quotidien rythmé, ses enfants braillards, cette vie qui s’anime en permanence et à laquelle je m’abreuve jusqu’à plus soif. On ne peut pas saisir l’euphorie qui vous gagne lorsque l’on a des enfants et c’est sans doute là le plus gros décalage.
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Paola Marceau
© Virginie Hamon