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Directrice de prison, ce métier ne semble décidément pas réservé aux armoires à glaces à lunettes noires ou à d’impressionnantes matrones à l’air sévère. Julie est aujourd’hui à la tête d’un quartier au sein d’un centre pénitentiaire de plusieurs centaines de détenus. Une vie étrange pour cette jeune maman […]. Et si notre féminité pouvait participer à réinsérer les plus violents des détenus ? Comment jongler entre une vie de maman et un boulot prenant en plein univers carcéral ? […] Julie se confie à Maman Vogue.
Au début de leur mariage, mes parents ont habité aux Etats-Unis et se sont engagés dans une association mettant en relation épistolaire des personnes détenues et des bénévoles. Papa a noué un lien très fort avec Bobby, condamné à mort au Texas, au travers de lettres régulières et des visites qu’il lui a rendues. Cette relation a imprégné notre vie familiale. A l’occasion d’une année d’échange aux Etats-Unis, mon frère et moi sommes allés lui rendre visite. Cette rencontre a été à la fois très simple et très marquante. Bobby était frappant d’attention aux autres, de sérénité et de foi, qu’il a gardées jusque dans les couloirs de la mort. Cette rencontre a évidemment été déterminante dans mon choix de carrière, même si j’étais consciente de son caractère unique.
Par ailleurs, je suis passionnée depuis longtemps par l’étude sociologique de l’enfermement et des autres caractéristiques carcérales (je conseille la lecture d’Asiles, d’E. Goffman à celles qui le sont aussi!). La variété des tâches permise par ce métier me correspond par ailleurs tout à fait !
Puisque l’on devient fonctionnaire, il faut d’abord passer un concours: soit en interne pour les personnes qui viennent de l’administration et ont par exemple déjà été surveillants, soit en externe pour les autres, mon cas. La formation est ensuite commune aux internes et aux externes, ce qui est intéressant car elle mêle des personnes qui ont déjà une grande « culture pénitentiaire » et d’autres aux parcours très divers. Elle dure 2 ans, avec une partie théorique et plusieurs stages, le premier étant en tenue de surveillant – très instructif!
Sans surprise les précédentes générations de surveillants, d’officiers et de directeurs étaient très masculines, mais le métier de directeur se féminise de plus en plus. Dans ma promotion, il y avait une majorité de femmes !
J’ai observé très peu de sexisme venant de la part des hommes détenus. On les rencontre souvent dans un cadre individuel, donc il n’y a pas l’effet de groupe qui peut parfois conduire aux remarques machistes. Par ailleurs ils sont assez respectueux de la fonction, car ils savent que l’on peut avoir un impact sur des décisions les concernant.
La population pénale en France est masculine à 97% ! Du coup la présence de femmes dans cet environnement permet en premier lieu de rapprocher ce microcosme de la réalité de la société extérieure. Cela me paraît essentiel puisqu’un des buts de la peine d’emprisonnement est de réinsérer…
Par ailleurs les surveillantes ont souvent des qualités précieuses sur le terrain : l’écoute, la facilité à communiquer, la sensibilité, l’intuition… Peu d’entre elles en profitent et sont dans « la toute-puissance » : une qualité nécessaire étant donné le rapport de dépendance qui lie les personnes détenues au personnel de surveillance. Ceci dit, j’ai aussi rencontré beaucoup d’hommes à l’écoute, sensibles et humbles dans cette administration!
Il y a bien sûr des réunions et des instances récurrentes, comme les commissions pluridisciplinaires uniques pendant lesquelles on se réunit entre partenaires pour évoquer la situation et le parcours de peine des personnes détenues, les commissions d’application des peines au cours desquelles le juge tranche sur les aménagements de peine après avis de l’administration pénitentiaire, les commissions de discipline pour sanctionner ou non les personnes détenues qui ont enfreint le règlement intérieur, etc.
Mais la grande majorité des journées reste dévolue à l’imprévu, car l’humain est au cœur de l’équilibre d’un établissement pénitentiaire !
Le quotidien diffère aussi beaucoup selon si l’on exerce dans une maison d’arrêt, dans un centre de détention, dans une maison centrale, dans un établissement pour mineurs… Cela permet une carrière très complète et variée !
Dans un cas comme dans l’autre, il me semble que la mission de long terme n’est pas de « materner » mais de rendre autonome. Un de mes rôles est que les personnes détenues trouvent elles-mêmes le projet qui leur convient le mieux et découvrent les ressources dont elles disposent pour sortir de leur parcours délinquant. L’idéal serait que, de même, j’arrive à accompagner mes enfants dans leur découverte de la voie qui les rendra heureux et autonomes.
Mais je ne mets évidemment pas la même dose d’affect dans ces deux missions…
Il très important pour moi autant que pour ma famille que j’édifie une barrière bien claire entre mon boulot et la maison.
Je ne veux pas rapporter à la maison tout ce que je peux voir et entendre en prison. Quand ils seront plus grands j’essayerai d’utiliser des mots d’enfants pour expliquer aux miens mon métier. Sans leur faire peur mais sans leur cacher non plus ce qui se vit derrière ces murs. Pour mon mari aussi, c’est mieux parfois de filtrer le récit de ma journée pour que nos dîners restent légers ! Mais il est un soutien infaillible dans cette décision de carrière, et m’aide à prendre du recul lorsque je vois des situations difficiles moralement.
Il y a aussi des moments de grande joie dans l’univers carcéral, et j’aime que mon entourage le sache et le partage avec moi !
Propos recueillis par Charlotte de B
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