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Une des plus grandes sources de dispute et d’incompréhension au sein du couple peut être l’éducation des enfants. Les parents qui ne sont pas toujours d’accord, les traditions familiales éducatives qui persistent, sans vraiment comprendre pourquoi, l’intolérance d’un parent, la trop grande tolérance de l’autre (etc.) ressortent particulièrement. Et si nous décidions de laisser tomber l’égalité compétitive pour laisser la place à une complémentarité contemplative ?
Combien de fois la tentation de compter les actions de chacun nous guette, nous faisant glisser trop souvent vers une forme de compétition inutile (« moi j’ai déjà fait à dîner donc à toi de les punir un peu » ou « j’ai déjà passé deux heures à jouer avec les enfants donc à toi de donner le bain ») abîmant notre coparentalité. Parfois même notre unité de couple. Et si nous prenions conscience aujourd’hui que les deux parents ne peuvent avoir exactement la même posture dans l’éducation des enfants puisque nous sommes, par définition, différents.
Je reçois beaucoup de parents dépassés, débordés par des enfants eux-mêmes débordants qui attendent des conseils très concrets pour calmer l’excitation et éviter les cris et les menaces.
Il m’arrive de leur dire alors, parmi de nombreux autres conseils :
« La place de Papa est essentielle ! Il doit être impliqué dans ce chantier éducatif et incarner particulièrement la loi et les règles. Pour cela, Maman peut contribuer à donner à Papa cette fonction symbolique : « je dirai à Papa ce que tu viens de faire ».
Les parents, parfois très étonnés de cette phrase so 60’s (en apparence) et de ce conseil me répondent presque toujours que ce précepte-là ne fait pas partie de leur modèle, qu’ils ne veulent pas créer de différence entre Papa et Maman, que Maman est tout aussi impliquée que Papa dans ce chantier éducatif là etc. Comme je comprends les questionnements de ces parents, et voici mes réponses:
Il faut tout d’abord reconnaître une réalité biologique. Jusqu’ici se sont nous les femmes qui portons nos enfants. Se faire la maîtresse de maison de notre petit hôte qui grandit en nous pendant 9 mois n’est pas anodin. Au cours de ces mois les mères développent une empathie particulière qui les rends hyper accordées à leur bébé quand il nait. C’est ce qui leur permet de répondre immédiatement et le plus justement possible à ses besoins. C’est ce qu’on appelle la « préoccupation maternelle primaire » (Winnicott). Cette hyper empathie peut diminuer avec le temps, elle est vouée à s’estomper pour permettre notamment la séparation.
Mais il reste évidemment comme des « séquelles » de cette empathie, à vie. C’est ce qui fait la beauté du lien avec nos enfants ! Seulement, dans le développement de l’enfant, il arrive un moment où un nouveau chantier surgit, une mission que nous n’avions pas vraiment envisagée: celle de donner des limites.
Cela implique alors, quoi qu’en dise les différents courants d’éducation, une rupture d’empathie. Dire « NON » à son enfant est absolument essentiel et requiert une prise de position parentale engageante. Cette prise de position peut être difficile à prendre pour nous, Mamans ! Même si nous savons que notre petit n’a pas le droit de mordre, et qu’il faut lui signifier fermement l’interdit, il est difficile d’exprimer à son endroit une fermeté qui pourrait engager même quelques minutes une rupture de lien.
C’est alors que la présence et la distance paternelles prennent tout leur sens. Le père, par cette différence biologique évoquée plus haut et si aimant et impliqué soit-il peut prendre cette posture de fermeté et envisager une rupture d’empathie quelques instants. C’est parfois plus facile pour eux. Parfois tellement facile que nous les trouvons un peu trop durs avec nos petits … Mais il faut aussi leur faire confiance ! Je rencontre de nombreux Papas bridés dans leur projet éducatif par une Maman embuée dans son empathie invalidante. Cela ne dédouane absolument pas les mères de ce chantier éducatif. Cependant, elles peuvent ainsi comprendre que ce qu’elles vivent est universel et que ces sentiments de culpabilité ou d’hyper empathie sont naturels et incontrôlables. Ainsi, laissons place à nos maris qui, peut-être, peuvent plus facilement formuler et se positionner face à l’interdit.
Reconnaissons ensuite une réalité sociale non négligeable. Une chose est sure, les rôles entre parents sont bien mieux répartis qu’avant, le choix de construire une famille est dorénavant un véritable choix de vie réfléchi et construit qui implique un homme et une femme. Que ce choix n’empêche pas pour autant les mères ou les pères de travailler et chacun peut choisir la voie de son épanouissement.
Cependant, même si nous aspirons tous à l’égalité sociale et à la parité homme et femme, et que beaucoup de mesures sociales et politiques devraient être prises dans ce sens, notamment l’allongement du congé paternité, force est de constater que la répartition des rôles aujourd’hui est toujours assez inégale dans la plupart des familles et que les mamans sont (encore) celles pour la plupart des familles qui passent le plus de temps avec leurs enfants. Cela a des conséquences évidentes sur la prise en charge des enfants et leur éducation !
En effet, lorsque l’on a passé pour certaines toute la journée, pour d’autres une partie de la journée ou quelques heures avec notre enfant à le câliner, le dorloter, le baigner, le moucher, l’écouter, le regarder jouer ou jouer avec lui, que l’on a été en contact avec tous les acteurs principaux de sa vie (maîtresse, prof de piano, baby sitter…), il est plus difficile de prendre tout à coup cette posture limitante et ferme en mettant quelques instants de côté notre empathie pour recadrer nos enfants.
Car donner des limites à nos petits, leur montrer ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire requiert une énergie importante qu’il est parfois difficile de donner. Cette distance « biologique » évoquée plus haut ainsi que cette distance environnementale et conjoncturelle propre à certains papa permet d’embrasser une posture interdictrice et ferme plus facilement. Le contraire est aussi possible : je rencontre beaucoup de mères dépassées par leurs enfants, qui, en plus d’être parfois contraintes d’abandonner certains choix de vie doivent endosser tous les rôles dans leur parentalité : douceur, tendresse, limite, fermeté …
Aidez-vous alors de vos maris en les faisant venir symboliquement dans l’esprit de votre enfant. Lui dire « je vais le dire à Papa », permet de rappeler à l’enfant qu’un duo coparental fort est présent autour de lui, ce qui le rassure et vous permet de ne pas entrer en guerre avec vos enfants et de ne pas vous même déborder lorsque vous en avez assez qu’ils le fassent.
Enfin, et c’est peut-être la raison la plus importante, il est essentiel de laisser à nos maris la possibilité d’adopter une posture paternelle puissante et rassurante. En effet, dire à notre enfant « je suis plus fort que toi » c’est avant tout lui dire « je te protège ». Quelle chance de donner à nos enfants la possibilité de se sentir vraiment rassurés au plus profond de leur être par une présence paternelle fiable parce que limitante. Donner au papa cette posture de « puissance », permet de rassurer nos enfants et de comprendre que leur papa protège toute la famille de tout ce qui peut se passer à l’extérieur. Cela n’abîmera en rien la relation entre votre enfant et son père puisque si ce-dernier fait bien la part des choses, une fois que le cadre sera posé, toute forme d’amusement, de régression, d’aventure sera envisageable et de manière bien plus apaisée.
Une fois que j’ai expliqué ces deux aspects là aux parents, ils reconnaissent tous les deux leurs différentes postures et cela leur permet même de se questionner sur celle qu’ils ont adopté « de facto ». Par exemple, une mère qui était beaucoup à la maison se sentait épuisée et peu soutenue dans sa mission d’éducatrice. Pourtant, le père, quand il rentrait avait l’impression de faire beaucoup pour les enfants, il jouait, il lisait une histoire, il dinait avec eux. En expliquant ces différences entre les hommes et les femmes, la maman s’est sentie comprise et a pu exprimer à son mari que quand il rentrait, elle avait surtout besoin qu’il recadre les enfants, non qu’il les excite mais qu’il limite.
Quant au père, il n’avait même pas idée que sa femme puisse ressentir cela puisque quand il rentrait, ils étaient douchés, avaient fait leurs devoirs et qu’elle disait que « tout allait bien ». En évoquant les difficultés que chacun ressent, en prenant conscience de cette complémentarité et en la valorisant, nous pouvons nous adapter pour que l’autre soit vraiment à sa place et donc plus en paix et plus efficace.
Parfois, au contraire, et parce que l’étude des comportements humains n’est pas une science absolue et que chaque parentalité se construit en fonction de notre histoire propre, certains papas ont plus de difficultés à poser des limites avec leur enfant. Essayer de comprendre pourquoi peut faire grandir ; est ce qu’il s’agit juste d’une question de rythme (ex : « je vois jamais mes enfants, je ne vais pas les punir sur les seuls moments de la journée ou je les vois ») ou d’une question plus ancienne et profonde (ex : « hors de question de poser la moindre limite à mes enfants, moi j’en ai beaucoup trop reçu »).
C’est le moment parfait pour comprendre la place que chacun adopte dans le modèle éducatif familial et de le remettre en question si besoin ! Il n’y a d’ailleurs pas eu de moments mieux que celui-ci pour que Papa s’implique dans l’éducation mais aussi pour que vous Mamans, leur laissiez la place et la possibilité de se présenter comme éducateur ferme et rassurant.
Vous sortirez grandis de ce moment intense et vos journées ne seront que plus belles !
Lénaïg Steffens – Psychologue clinicienne