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Un 29 février ça n’arrive que tous les 4 ans… 4 ans se sont écoulés depuis le dépôt de notre dossier d’adoption et on ne s’y attendait plus…
Après avoir exploré de multiples pistes pour l’adoption internationale et rencontré de nombreuses désillusions, nous avions fait le choix de nous porter candidats à l’adoption d’un enfant pupille d’état. Compte tenu du grand nombre de parents en attente d’adoption à Paris et du faible nombre de pupilles, très peu de chance d’y arriver. Au fond de nous, un petit espoir demeurait mais nous avions intégré la forte probabilité de passer notre vie sans enfants. Papa voyageait beaucoup en Afrique pour son travail, je l’avais accompagné plusieurs fois, et je venais de reprendre une mission d’avocat dans un grand groupe de CAC40. A 42 ans, notre vie était donc bien remplie par nos métiers, voyages et amis.
Quand, ce 29 février, un numéro inconnu s’est affiché sur mon téléphone, je n’ai pas décroché. 10 minutes plus tard, c’est le numéro de papa en partance pour la Guinée qui s’affiche. Etonnée de son appel, je réponds cette fois. Et là le sol s’effondre, le plafond explose, je travaille dans un open space et cours m’enfermer dans le local photocopieuse ! Papa bredouille des choses incompréhensibles mais je comprends l’essentiel. Une petite fille de 6 mois nous attend pour l’adoption à la pouponnière du 20ème arrondissement de Paris. Nous pleurons, submergés d’émotion. C’est un tsunami. Tant d‘émotions se bousculent. Impossible de faire le tri. Je suis chamboulée, euphorique, sidérée. Notre rêve se réalise c’est fou, miraculeux, extraordinaire. Mais il y a la peur de l’inconnu et de l’inconnue. En une semaine je dois me préparer à être maman. C’est irréel. Voilà le meilleur mot qui résume mes sentiments.
Deux jours après l’Appel, nous rencontrons la tutrice des pupilles de notre département. Ce jour là nous découvrons pour la première fois ton visage sur deux photos ainsi que ton histoire. Je regarde la photo de loin pendant l’entretien. J’ai un peu peur d’être confrontée à la réalité et à la fois rien de réel encore. L’histoire du début de ta vie est une belle histoire, nous sommes soulagés, c’est même exceptionnel de nos jours. Une nouvelle histoire qui entre dans nos vies. Une belle étoile semble de nouveau briller au-dessus de nos têtes. Toutes ces années d’angoisses, de douleurs et de déceptions à la suite de multiples tentatives de FIV sont effacées d’un coup.
Une semaine après l’Appel aura lieu notre première rencontre. Il faut à la fois se préparer à être parents et très vite organiser la réalité qui nous attend : aménager une chambre d’enfant, se procurer tout le matériel nécessaire. Je n’ai aucune idée des détails pratiques de la vie d’un bébé. Je m’investis dans la décoration de la chambre mais j’ai des moments de sidération complète. Un état de choc en quelque sorte. Papa s’active heureusement pour faire des achats indispensables (lit, table à langer, poussette…), et même une voiture ! Impossible de dormir plus de 2 ou 3 heures d’affilée. Il faut trouver un prénom aussi. Tes photos ne me quittent pas.
Papa a annulé son voyage bien sur et reporté sine die ses activités à l’étranger. De mon côté, je dois poser un congé adoption quasi instantané ! En une semaine, il faut donc terminer et organiser la passation de ma mission. Ce n’est plus une surcharge mais une explosion mentale ! Après deux nuits blanches je trouve ton prénom. Un prénom qui a une belle histoire, comme toi. Le nouveau prénom qui va marquer le premier jour de ta nouvelle vie.
Le grand jour de notre rendez-vous est arrivé. Chaque journée depuis l’annonce a eu l’intensité d’un mois. Ça fait donc presque 9 mois que nous t’attendons finalement ! Il ne fallait pas moins.
Nous arrivons à la pouponnière. Tu vis ici depuis six mois et c’est difficile à concevoir. On nous parle de toi pendant une trentaine de minutes, j’écoute à demi mot, ça dure une éternité, puis enfin tu arrives dans les bras de la puéricultrice. C’est le moment le plus bouleversant et le plus intime de ma vie. Je suis comme anesthésiée. Nous sommes assis en face de toi. Nous t’appelons par ton prénom et t’offrons un doudou. Tu nous observes en grimaçant. Tu viens dans mes bras puis dans ceux de papa. On se découvre, tout se déroule bien « comme prévu » mais je n’arrive pas à me mettre instantanément dans la peau de maman. Je sens que nous sommes encore étrangers les uns pour les autres… Et surtout quelque chose me dérange de plus en plus au cours de cette première entrevue. Trois regards sont braqués sur nous et j’ai comme l’impression d’être devant un jury, de passer un examen d’admission à l’école des mamans. On nous prend en photo, on nous observe, on nous chuchote ce qu’il faut te dire. Je joue le jeu mais ce n’est pas ce que j’avais imaginé. Je n’ai qu’une envie, partir de cet endroit et tout recommencer. Cela manquait de pudeur et d’intimité. Tous les jours, nous venons te voir un peu plus longtemps. Nous partageons tous les moments importants de ta vie à la pouponnière : je te donne ton premier biberon que tu avales d’un trait, premier changement de couches, premier bain, premier tour en poussette… Au bout de trois jours, en rentrant chez nous, je craque.
C’est trop brutal. J’ai besoin de temps. Le temps d’apprendre à se connaître, de trouver nos marques. Tout s’est enchainé trop vite. Je ne sais plus où je suis. Je ne dors plus, et je demande quelques jours pour nous retrouver seuls. Nous partons passer une journée loin de Paris pour se poser. Et là le déclic a lieu. Je consulte une psychologue pendant deux heures et je comprends qu’une rencontre entre deux êtres humains ça se construit. Ca y est, je le sais, je le sens, tu es mon bébé, j’ai un enfant, nous avons un enfant. Je suis prête. Il paraît que tu as dormi pendant les deux jours où nous ne sommes pas venus te voir. Peut être que toi aussi tu avais besoin d’une pause dans ce marathon émotionnel. En arrivant à la pouponnière, tout me semble différent. On nous laisse enfin seuls. Et je vois dans tes yeux que tout a changé pour toi aussi. Tu nous as choisis comme parents et tu as l’air bien décidée ! Nous nous sommes adoptés. La rencontre a lieu. Pas comme dans une parodie de conte pour enfants mais sur un socle solide et bien réel. Je suis fière du chemin parcouru. Cette fois je peux le dire c’est magique, c’est maintenant une vague d’amour qui déferle…
Pendant deux jours, nous t’emmenons découvrir doucement ta nouvelle maison, ton nouveau lit, ta nouvelle chambre. Dernière nuit à la pouponnière. C’est le grand départ. A l’instant où tu es arrivée chez nous, tout est devenu naturel, plus personne pour nous observer, enfin en famille. Ton visage n’est plus le même. Nous y lisons désormais l’apaisement. Et cette éclatante joie de vivre qui ne t’a jamais quittée depuis. C’est la plus belle aventure de notre vie.
C.