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Nous sommes nombreux à avoir entendu cela durant notre enfance, « tu ne sortiras pas de table tant que tu n’auras pas fini ton assiette ! ». Des heures de bras de fer avec mon père, mon frère étalant les petits pois dans son assiette, espérant ainsi tromper l’ennemi …!
Mais c’était la règle, il fallait terminer.
Si aujourd’hui je ne procède pas de cette façon avec mes enfants, je reconnais néanmoins que mes parents croyaient bien faire et avaient des raisons tout à fait légitimes de penser prôner une juste règle éducative.
Interrogeons-nous sur cette pratique si répandue, ce bras de fer avec nos enfants est-il si vertueux qu’il en a l’air ?
Tout d’abord mes parents songeaient au gaspillage, aux enfants qui n’ont rien à manger, et à l’indécence qu’il y a à gâcher, quand tant d’enfants manquent de tout. Ensuite je crois bien qu’ils craignaient que nous soyons carencés, mes frères et moi, si nous manquions de viandes ou vitamines en tout genre.
J’ai beaucoup étudié la question, tant sous l’angle de la psychologie et donc du rapport à l’alimentation qui se construit chez le jeune enfant, que sous l’angle de la nutrition et des recommandations diététiques pour les petits.
Il apparaît deux éléments principaux:
Tout d’abord, si vous forcez un enfant à finir son biberon dans ses premiers mois, et par la suite, son pot ou son assiette, vous l’empêcher tout simplement d’être à l’écoute de ses sensations corporelles et vous lui apprenez, repas après repas, non pas à écouter sa faim, mais à se plier au contenu de son assiette. Vous brouillez ainsi son « radar naturel de satiété ».
En grandissant, il risque, non pas de s’arrêter de manger car il n’a plus faim, mais bien parce que son plat est fini.
Combien sommes-nous à être incapables de nous arrêter de manger avant épuisement de l’assiette ? Sans même être à l’écoute de notre faim ?
L’information de satiété mettant approximativement vingt minutes à parvenir de notre estomac à notre cerveau, nous prenons ainsi l’habitude de manger sans jamais l’écouter et lorsqu’elle arrive (si nous sommes encore capables de la reconnaître !) l’information est déjà bien inutile car nous avons saucé l’assiette !
Ainsi, je ne force jamais les enfants à finir biberon ou plat. Bien entendu, je repropose, mais si c’est non, je n’insiste pas.
Et pour ce qui est du gaspillage alors ? De l’éducation à la valeur des plats ?
Et bien, il est important d’expliquer aux enfants, que ne plus avoir faim ne signifie pas « avoir faim d’autre chose » ou « ne pas aimer ce plat ».
Il y a donc obligation de goûter à tout et si l’enfant n’a plus faim pour le plat, il n’y a bien sûr aucun autre plat de servi et pas de dessert non plus. « Nous ne sommes pas à l’hôtel » aurait aussi pu dire mon père !
L’idée n’est pas de céder à un éventuel caprice, mais bien de respecter et de traiter comme naturel, le rejet d’un enfant qui ne veut plus avaler une cuillerée de plus, tout simplement parce que son estomac est plein !
Il va de soi que cela ne peut – et ne doit – pas s’appliquer aux enfants ayant un problème de santé nécessitant la mise en place d’un régime ou d’une prise alimentaire particulière (nourrisson a très petit poids par exemple).
Ensuite, le fait de finir son assiette est souvent problématique, tout simplement, parce que nous nourrissons trop nos enfants.
Des nombreuses possibilités de céréales infantiles à ajouter dans les biberons chez les tous petits (aux goûts vanille, cacao et autres goûts sucrés) à la simple taille des portions chez les plus grands, les possibilités d’excès sont légions.
Un enfant de 3 ans, par exemple, a un besoin journalier en protéines d’environ 40 grammes par jour ce qui n’équivaut qu’à deux cuillères à soupe.
Combien de fois donne-t-on à nos enfants de la viande le soir alors qu’au déjeuner ils ont déjà eu du hachis à la cantine ? Il n’est pas rare que je voie des portions bien trop importantes dans l’assiette des petits, un demi steak haché, quand cela n’est pas carrément un steak entier à cinq ans !
Et nous pourrions jouer au jeu des proportions avec chaque groupe d’aliment.
Nous nourrissons en général trop nos enfants ! Voilà pourquoi ils n’arrivent jamais à finir.
Ce n’est pas seulement parce qu’ils boudent le steak/petits pois : quatre cuillères de petits pois, deux de steak et Loulou n’en peut plus ? Normal ! Il a atteint ses besoins pour le repas !
Et puis à bien y réfléchir n’est-ce pas un peu fou de forcer un enfant à finir sa crème dessert au chocolat (oui, même s’il l’a demandé) alors que le pot prévu pour un consommateur adulte est déjà, en lui-même, sans intérêt nutritionnel et purement gourmandise ? Hop ! un peu de film alimentaire et au frigo ! Loulou finira ce soir ou bien ce sera maman devant un bon film … tout le monde y gagne, les repas resteront ainsi des moments de partage et de plaisir et ne deviendront pas l’enjeu d’un rapport de force entre parents et enfants !
Amandine Girard
© photo Clarisse de Lauriston