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Dans notre société, on tente d’effacer toujours plus, sous prétexte d’égalité, la différence des sexes. Mais si les femmes et les hommes sont bien évidemment égaux, nous ressentons qu’ils sont fondamentalement, profondément et viscéralement différents : c’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont complémentaires.
Pourtant, la seule donnée naturelle vraiment incontestable dont nous disposons est que les femmes enfantent, et non les hommes. Tout le reste n’est peut-être que sociologique. Pascal l’a déjà dit, et beaucoup mieux : la vraie nature étant perdue, toute nature est devenue culture. On ne peut donc pas déterminer de façon péremptoire les substances respectives de l’homme et de la femme. C’est pour cela qu’il est si complexe de contester dans une démarche rationnelle la théorie du gender, car elle s’articule sur la dénonciation de stéréotypes jaillis d’un constructivisme social qu’il serait hypocrite ou dogmatique de nier.
Chaque société, chaque époque, chaque culture exprime en effet à sa manière une forme de féminité et de masculinité. Dans ces contextes, chaque homme et chaque femme la traduisent de façon personnelle en se confrontant à un environnement qui leur permet de manifester leur singularité. Certaines femmes seront tranchées et autoritaires quand d’autres contourneront les obstacles en étant plus séductrices. Mais à moins d’être absolument cyniques ou révoltées, toutes adoptent des comportements et des conventions qui les identifient à un groupe et à des convictions.
Cela étant posé, il n’est pas plus aisé de les définir individuellement. Les unes par rapport aux autres, on y arrive à peu près, la relativité permet les comparaisons. Mais que dire de la femme en tant que telle, ou de l’homme, en général ? Leurs essences respectives représentent un inaccessible pour qui cherche naïvement à percer leurs mystères. Alors, les résumer en quelques lignes, l’entreprise semble vraiment audacieuse, un peu prétentieuse même, et pas forcément très objective, surtout quand la psy est à la fois juge et partie : femme, épouse et mère.
Pourtant, il serait dommage d’y renoncer. Car la psychologie permet de se rapprocher de notre identité véritable, de cette drôle de coloc’ qui réagit au plus profond de nous et nous étonne souvent, tellement parfois qu’on se demande s’il sera possible de l’apprivoiser un jour. C’est justement pour nous aider à dialoguer avec elle que la psychologie est là. Elle ne délivre pas de belles réponses prêt-à-porter comme chez Monop’, bien repassées sur un cintre et avec l’étiquette de Freud ou de Lacan encore dessus, mais plutôt une méthode, qu’il faut adapter à chacune, pour faire du sur mesure…Car toutes les femmes sont uniques, donc rares et précieuses, mais aussi mystérieuses, fruits d’éducations, d’environnements sociaux, d’histoires et de tempéraments différents.
A force de les recevoir en consultation, on arrive quand même à dégager quelques généralités. La première est que les femmes ont besoin d’altérité. C’est dans leur relation à l’autre qu’elles recherchent et ressentent une plénitude intérieure, le sentiment qu’au cœur de leur être, tout s’harmonise enfin. Cette harmonie dépend de trois grandes possibilités existentielles : la maternité, la vie de couple, la vie socio-professionnelle.
Ces trois potentialités, qu’elles soient réalisés ou non, peuvent sembler parfois contradictoires et génèrent des tensions qu’il faut équilibrer. Comme pour un triangle, chacune d’elles est un sommet, et chaque sommet est lui-même relié aux deux autres par des arêtes. Ils forment ainsi des angles, qui agissent comme des pivots autour de la figure. En traçant les trois médianes, on trouve le point de « concours » du triangle. Il porte bien son nom, car il soutient toute la cohérence de la forme géométrique : c’est son centre de gravité, le point de départ et d’arrivée de nos trois grandes aspirations qui ne peuvent se réaliser pleinement sans le concours, justement, des deux autres. C’est là que se tient l’unité de vie par laquelle s’épanouit la féminité. En plagiant un fameux Clausewitz, nous pourrions y discerner nous aussi une « merveilleuse trinité », mais féminine[1] cette fois.
Ainsi, si nous filons la métaphore, nous voyons que chaque côté du triangle, en courant d’un sommet à l’autre, fait circuler des désirs et des attentes, des besoins qui nous motivent ou nous préoccupent chaque jour : les enfants, l’amitié, la reconnaissance, la nouveauté, l’argent etc.
Chacun des trois sommets évolue en même temps que nos vies avancent, et contraint les deux autres à se déplacer pour maintenir continue la figure triangulaire. C’est alors que des résistances ou, pire, des déchirements, surgissent, parce que nous abandonnons comme en suspension certaines aspirations, lesquelles se détachent fatalement des deux autres et font rompre la figure, laissant s’installer un grand vide, puis une frustration douloureuse.
Une de mes patientes était en proie à un profond mal-être. Elle se reprochait d’être une mauvaise épouse parce que son mari semblait s’éloigner d’elle. Elle s’efforçait d’être toujours plus aimante pour lui plaire, mais lui restait indifférent. C’est alors que nous nous sommes rendues compte que, malgré ses efforts, elle était en fait sans cesse en confrontation avec lui. Elle lui reprochait en creux d’être heureux dans son métier, et de la priver d’une telle expérience. Elle avait besoin, elle aussi, de se sentir utile aux autres, au-delà de son foyer. Mais pétrie de morale « classique », elle n’avait jamais envisagé que travailler puisse être la grande respiration qui donnerait un nouveau souffle à son couple. |
L’exemple ci-dessus tente d’illustrer le concept de trinité. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans le positionnement des trois sommets ? Qu’est ce qui m’a empêchée de trouver mon centre de gravité? Est-ce vraiment le problème que j’ai identifié, en l’occurence mon couple, qui est à la source de mon malaise? Comment est-ce que je gère les deux autres dimensions de ma féminité? Comment rétablir un équilibre ?
Jamais ce triangle ne deviendra équilatéral, il ne faut d’ailleurs surtout pas essayer. Sa structure n’a en effet pas du tout vocation à rester figée, mais au contraire à évoluer avec le temps. Les aspirations de nos 20 ans ne sont jamais celles de nos 40 ans ! Et si l’un des sommets doit concentrer la plus grande part d’attraction pendant une période de notre vie, les deux autres prendront le relais par la suite.
Une femme célibataire accordera plus d’attention à son travail, mais si elle se met en couple elle fera effort sur sa vie conjugale, si elle devient mère sur ses enfants, à la retraite elle retournera plus à sa vie sociale. Mais une autre pourra d’abord fonder une famille, et se lancer dans un emploi ensuite. Il n’y a pas de règles : chacune d’entre nous peut modeler sa propre trinité selon les évènements et les rencontres de sa vie. Mais encore faut-il ne pas rejeter ou ignorer un des trois pôles de sa féminité.
Ce qui reviendrait à vouloir tracer un triangle avec seulement un ou deux sommets.
A suivre…
[1] Clausewitz, théoricien de la guerre, utilise un système triangulaire pour expliquer l’unité de vue nécessaire entre l’armée, les politiques, et l’opinion publique.
© Annaclick
Marie-Amélie Larchet