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Témoignage d’un père : « Gaspard va changer votre vie, il sera votre chemin vers l’essentiel », avait prédit un de leurs amis à l’annonce brutale du diagnostic. C’était en septembre 2014. Benoit et Marie-Axelle Clermont, parents de quatre enfants, apprenaient alors que leur petit dernier de 13 mois souffrait d’une maladie neurodégénérative rare et incurable : Sandhoff. Avec une courte espérance de vie.
Comment accueillir une telle nouvelle dans un couple ? Homme et femme vivent-ils les épreuves au diapason ? Comment retrouver sa place de père protecteur quand la maladie frappe inexorablement ? Peu d’hommes se confient sur cette difficulté à s’abandonner. Avec sa femme, Benoit livre un émouvant témoignage dans leur livre Gaspard, entre terre et ciel et accepte de nous parler en vérité…
Au regard de notre société moderne, ma famille était absolument parfaite : un beau mariage, quatre beaux enfants, un travail passionnant... Et comme tout le monde, nous étions à la recherche de la réussite, de l’épanouissement individuel, conjugal, familial. Tout ça avec un décorum religieux hérité de nos familles respectives : une foi très différente de celle que nous vivons aujourd’hui.
Honnêtement, je n’avais rien remarqué. Quand Marie-Axelle s’inquiétait des retards de Gaspard, je l’écoutais, conscient de son instinct maternel. Tout en restant persuadé que chaque retard allait se rattraper ! Je pensais que tout allait rentrer dans l’ordre sans forcément donner lieu à un handicap. En voyant Gaspard avec son œil de médecin, un oncle m’a dit un jour : « Tu sais, on vit très bien avec un enfant handicapé ! » Mais je refusais de comprendre, j’étais dans le déni.
Ma première réaction a évidemment été un grand choc. Je n’ai pas compris ce qu’il se passait. Une immense tristesse et un effondrement total ont suivi. Comme le diagnostic annonçait une maladie incurable, j’étais face à un fort sentiment d’impuissance auquel je n’avais jamais été confronté et qui me mettait en colère ! Je nourrissais également un sentiment d’injustice, car je considérais de manière prétentieuse que nous avions tout fait dans les règles de l’art et que je donnais également sans compter dans l’exercice de mon métier de militaire.
J’ai bien mis six mois pour sortir du ravin. Marie-Axelle a fini par me crier à l’aide, car elle faisait beaucoup de choses à la maison et était épuisée. De mon côté, j’étais absorbé par mon travail et la préparation d’un concours. Il n’y a pas eu de déclic, mais juste une acceptation progressive de ce qui m’arrivait. La colère m’a quitté peu à peu grâce à la prière. J’ai demandé l’aide de Dieu pour m’en sortir !
Très sincèrement, je n’ai toujours pas évacué la question du « pourquoi ». La maladie d’un enfant est injuste par nature, mais je ne cherche plus de responsable. Ce pourquoi est une question qui me taraude toujours et à laquelle je n’aurai jamais la réponse. Même si nous avons appris beaucoup de choses et grandi à travers cette épreuve, cela n’a pas de sens. Beaucoup de couples se séparent, certaines personnes se suicident…
Quant à la question du « comment », nécessité faisant loi, j’ai appris à m’occuper de Gaspard comme on s’occupe de quelqu’un pour qui on ne peut plus faire grand chose. J’ai appris à le changer, à lui donner ses repas, à lui faire écouter de la musique, à être tout simplement là pour lui. Ne pas faire grand chose est quelque chose que je ne savais pas faire… C’est Gaspard qui m’a tout appris et cela a été un long chemin !
Dans un sens, tu as raison. Marie-Axelle ne s’est pas effondrée et tenait la barque familiale avec courage. Elle forçait toute mon admiration ! Mais j’étais également dans l’action, autrement. Mon sentiment d’utilité passait alors par mon travail. Parfois, j’avais envie d’inverser nos rôles pour m’occuper moi aussi de Gaspard toute la journée… Mais même si je n’étais pas aussi présent que je l’aurais souhaité, je travaillais pour lui, pour apporter à ma manière des pierres à l’édifice familial.
Pour un père, ne pas réussir à protéger son enfant est la pire épreuve qui soit. C’est un constat d’échec, un aveu d’impuissance. Intrinsèquement, un homme a ce désir de puissance et de protection pour les siens. Tout comme une femme aura des désirs de tendresse et d’amour immenses à donner. Face à la réalité de la maladie, une maman peut encore combler son enfant d’amour, et de façon toujours plus profonde. Elle vit alors pleinement sa vocation de mère. Mais quel est le rôle du père face à un enfant qui va mourir ?
De plus, ma place n’était pas si évidente à trouver, car Gaspard est resté un « bébé ». Pendant ses trois ans et demi de vie, Marie-Axelle a entretenu avec lui la relation d’une mère avec son tout-petit. J’avais du mal à trouver ma place dans cette période de longue petite enfance !
Progressivement, un petit mur s’est construit entre nous. Les briques de ce mur, qui montait doucement, étaient le manque de dialogue, la fatigue physique, le manque de prière à deux, l’absence de pardon, le manque de tendresse et la culpabilité. Avec un enfant malade, tout est exacerbé ! Il y a eu des moments où le décalage entre nous deux se creusait… Je cheminais parfois à la traîne derrière Marie-Axelle ! A d’autres moments, nous étions sur des chemins différents.
Progressivement, nous avons réussi à casser ce mur d’incompréhension. Moi, en me rendant plus présent. Et Marie-Axelle, en modifiant un peu sa façon de faire avec Gaspard. Je ne pouvais pas m’occuper de lui aussi bien qu’elle, ou du moins pas comme elle… Je n’étais pas une maman avec des poils aux jambes ! Marie-Axelle a accepté au fur et à mesure que je m’occupe de Gaspard différemment. Dans ces moments-là, trouver ma place de père consistait à faire comme je le sentais. C’était la façon qui rendait Gaspard heureux ! Finalement, il s’en fichait d’avoir une couche mal mise !
La seule solution pour prendre du temps pour nous deux était d’accepter de se faire aider. Des gens adorables ont proposé leurs services pour venir le garder, le temps d’une sortie cinéma ou d’un restaurant. Comme il fallait des compétences techniques pour s’occuper de Gaspard, nous avons organisé une soirée de formation pour des membres de l’Ordre de Malte. Evidemment, nos propres familles ont également été très présentes, et plus particulièrement nos mamans. Nous n’avions pas de rythme, car chaque semaine était différente et il était impossible de laisser Gaspard à certains moments. La responsabilité était trop grande ! Vers la fin de sa vie, nous passions beaucoup de temps à la maison et en profitions pour faire des dîners aux chandelles. C’était une façon d’égayer les moments du quotidien !
Nous avons essayé aussi de prendre du temps pour chaque enfant. J’ai emmené par exemple Arthur, fan de rugby, au match. Mais nous faisions peu de choses tous les cinq, car nous étions tristes d’être éloignés de Gaspard. Le meilleur moment passé tous ensemble a été son dernier anniversaire. Nous avions déménagé la cuisine pour pouvoir dîner tous ensemble à côté de lui. Un vrai moment de fête !
Avant Gaspard, je vivais ma paternité comme une exemplarité. Un peu comme un chef militaire avec ses troupes ! Je n’étais pas dans les démonstrations de tendresse avec mes enfants, même si j’aimais endosser tour à tour le rôle de professeur de français, d’entraîneur de foot ou d’ami. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il y avait des choses que j’avais mal comprises. Nous ne sommes pas dans la performance ! Avec Gaspard, mon armure s’est brisée en mille morceaux… Et mon nouveau regard de père s’est construit à grands coups de larmes ! J’ai appris à aimer mes enfants avec tendresse, sans forcément chercher à les pousser toujours plus loin. J’ai accepté mes propres faiblesses et elles sont devenues des forces.
Dire à Gaspard que je l’aimais, être tendre avec lui et assumer cette part de sensibilité m’ont aidé à grandir dans la paternité. Cela m’a permis de voir l’essentiel et d’aimer mes enfants tels qu’ils étaient, chacun dans sa spécificité. J’ai surtout compris que je n’étais pas responsable de leur bonheur, de leurs performances ou de leur futur job. Ma mission est de les aimer de tout mon cœur !
J’ai mis plus d’un an à m’ouvrir et à accepter d’en parler avec des amis. C’était devenu un besoin viscéral ! Je ne recherchais pas de conseils, juste une écoute. Vu de l’extérieur, je donnais l’impression de gérer, car Gaspard était encore en « forme ». Mais un jour, j’ai dit à mes amis que j’allais péter un plomb ! J’enviais Marie-Axelle qui avait plein d’endroits, de « cénacles », où vider son sac en profondeur en passant des heures à parler de ça avec d’autres femmes. Moi, je sentais que j’en avais tout autant besoin, mais je ne trouvais pas de lieu où le faire. Mes amis étaient pour beaucoup militaires et une forme de pudeur s’était installée entre nous. Quand j’ai eu l’occasion de parler avec d’autres hommes, j’en ai tout de suite ressenti les bienfaits. J’avais juste besoin moi aussi d’attention, d’aide concrète ou d’un texto une fois de temps en temps.
Lors des trois pélerinages, que j’ai faits, j’ai totalement retrouvé cette fraternité et cette capacité à parler de nos problèmes, à écouter sans juger avec la possibilité de prier les uns pour les autres. C’est un cercle vertueux : je suis maintenant capable de parler de Gaspard avec n’importe qui ! Ce pélerinage me touche particulièrement, car il a été créé pour des pères qui ont des soucis. Avant de marcher, chacun confie son « fardeau ». Et on se rend compte que quand on le confie à d’autres, il est moins lourd à porter ! Une année, un homme de notre chapitre nous a dit : « Je n’ai aucun problème, tout va bien pour moi ! Mais je suis venu porter une des intentions que vous n’arrivez pas à porter » C’est vraiment ça l’esprit de Cotignac ! Avec une règle d’or : « Ce qu’on dit là-bas, reste là-bas ! »
Honteusement, je me souviens qu’à l’époque, je n’avais même pas posé une demi-journée pour accompagner Marie-Axelle à l’hôpital le jour de sa fausse couche. J’avais du mal à mesurer sa souffrance… Pour moi, la grossesse était une histoire de femmes ! J’ai mis des années à prendre conscience de mon erreur. Aujourd’hui, les hommes doivent s’atteler à être des copilotes de la vie conjugale. La fécondité est vraiment une histoire de couple et doit se vivre à deux tout le temps ! A nous, les hommes de mieux connaître le corps de la femme en nous y intéressant vraiment. Et d’éduquer nos garçons à la beauté du corps de la femme en parlant avec vérité !
Un soir, alors que j’étais à l’hôpital avec Gaspard, je suis tombé sur la page Facebook « Tombée du nid » où j’ai découvert plein de témoignages tous plus beaux les uns que les autres. J’ai eu l’idée d’écrire une lettre de la part de Gaspard que la page a ensuite diffusée, provoquant de très nombreuses réactions. Suite à cet engouement, j’ai convaincu Marie-Axelle, tout d’abord réticente, de créer une page pour Gaspard. A un moment, où je ne me sentais pas très utile auprès de lui, ma mission de donner de ses nouvelles avait du sens. Il y avait une forme de catharsis à écrire, à mettre des mots sur ce que nous vivions.
Quand nous avons pris conscience de tout ce que nous recevions à travers Gaspard, nous avons souhaité le partager, car nous en avions trop pour nous ! Notre principale source de joie et de soutien était de voir la fécondité de Gaspard, ce qu’il faisait sur les gens. Il y a également eu cet énorme élan de prières qui nous a portés. 120 000 personnes qui prient pour toi, c’est toujours mieux que quatre !
J’étais tellement admiratif de Gaspard, que c’est lui qui m’a appris l’humilité. Quand tu fréquentes un héros pendant trois ans, ça rend humble ! J’aime beaucoup cette prière qui dit « Seigneur, faites que je diminue pour que Vous grandissiez en moi ». On n’est jamais assez humble ! Avec Marie-Axelle, quand on a la flemme de témoigner, on se dit qu’on commence à le faire pour de bonnes raisons, c’est-à-dire pour les autres !
Ce n’est pas facile à expliquer, mais je pense qu’il avait un vrai charisme. C’est quelque chose d’irrationnel qui tient peut-être à sa beauté physique, à ses yeux bleus intenses qui avaient quelque chose d’envoûtant. Je pense que si Gaspard n’avait pas été beau, notre témoignage n’aurait pas été possible. Les gens n’auraient peut-être pas été aussi attirés…
Il rappelait l’essentiel à tout le monde ! Autant aux parents qu’aux gens seuls… Voir que Gaspard a été heureux rassure chaque personne sur sa capacité à être heureux. Car nous portons tous en nous cette immense capacité d’amour ! Finalement, celui qui allait mourir a appris à beaucoup de personnes comment vivre…
Et si c’était ça le secret de Gaspard ? Comme le dit Khalil Gibran dans Le Prophète : « Il y a ceux qui recèlent la vérité en eux, mais qui ne la disent pas avec des mots. Au sein de tels êtres, l’esprit demeure dans le battement du silence ». Merci Gaspard pour tout ce que tu nous as apporté dans ton doux silence !
Laetitia d’Hérouville
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