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En dehors des sentiers battus, l’IEF trace pourtant son chemin en France. Ce terme est difficile à définir car il englobe plusieurs philosophies et pratiques très variées. Il a également d’autres termes comme le : homeschooling, unschooling, non-scolarisation (non-sco) ou encore dé-scolarisation (dé-sco) et instruction en famille » ou « à domicile ». On retrouve dans les lois, la notion d’obligation « scolaire » alors que dans les faits il s’agit d’une obligation « d’instruction »
Certains parents n’envoient pas leurs enfants à l’école et font le choix de prendre en charge eux-mêmes l’instruction de leurs enfants, ou de la confier à des professeurs privés, religieux, etc. ou/et encore de les laisser simplement s’épanouir et apprendre à leur rythme.
La raison d’être du choix de prendre en charge l’instruction de son enfant, ou de le laisser librement « découvrir », varie selon les familles ; pour certaines ce sont des raisons pédagogiques, pour d’autres religieuses ou philosophiques, pour d’autres encore des raisons de santé . On pourrait polémiquer sur l’IEF et ses raisons mais, au delà des différentes motivations de ce choix, je vous propose ici de découvrir le vécu de l’IEF grâce à ces 3 mamans qui ont fait ce choix et nous partagent leur
retour d’expérience : merci à elles !
Quelles ont été vos motivations pour le choix de l’IEF pour vos enfants ?
Mélanie : Notre fille aînée a été scolarisée tout le temps de sa maternelle. Ce fut une expérience plutôt douloureuse pour elle et difficile pour nous, qui avions aimé l’école. Anaëlle pleurait tous les matins car elle ne voulait pas aller à l’école. Les maîtresses nous rassuraient, disant que le temps scolaire se passait bien mais le temps des récréations restait difficile, avec
une petite fille perdue dans l’immensité de cette cour d’école et de cette foule d’enfants. Ce mal être chez notre fille nous a questionné, cela perdurait et ne semblait pas lié à une difficulté d’adaptation. C’est cela qui nous a amené à chercher d’autres alternatives.
L’école à la maison nous est apparue comme une solution adaptée à notre fille très imaginative. Cela lui permet de profiter de nombreux moments de liberté pour laisser libre cours à son imagination. Cependant, pour mon équilibre personnel, j’ai besoin d’exercer un peu dans mon activité et ainsi, je travaille en tant que médecin a l’hôpital à 60%. Pendant que mon mari et moi travaillons, nous avons une jeune fille à la maison qui s’occupe de nos enfants. Nous faisons les apprentissages quand je suis à la maison et Anaëlle travaille un peu en autonomie les semaines durant lesquelles je travaille.
Elisabeth : Avec deux petites filles de 5 ans et 3,5 ans, pour l’instant nous sommes plutôt en unschooling car nous n’avons pas mis en place d’apprentissages formels tel que ceux qu’on trouve en IEF. Le choix de la non scolarisation s’est fait petit à petit. Quand l’ainée avait l’âge de la petite section, j’étais encore trop fatiguée par les mauvaises nuits de sa cadette. Je me souviens qu’il m’arrivait régulièrement d’avoir des RDV à 9h avec mes filles et je trouvais cela très difficile de bouger tout ce petit monde et cette contrainte logistique m’a rapidement dissuadée de devoir m’imposer ce rythme 4 voir 5 jours par semaine. Et pourtant, malgré la fatigue encore omniprésente à cause des siestes non synchro et des nuits difficiles, je me suis sentie fascinée par leur développement. Les voir évoluer de jour en jour, m’a passionnée et je me sentais à ma place avec elles dans ce quotidien intense et riche. D’où ce choix de garder les filles avec moi à cette époque.
Bien sûr, 2 enfants de moins de 3 ans à la maison H24, c’était pour moi souvent un peu dur nerveusement, mais le plus souvent, c’était magique.
Puis le temps est passé, les filles ont grandi, c’est devenu beaucoup plus simple nerveusement et la question de l’école s’est de nouveau posée comme chaque année, finalement ! Mais, j’avais mordu à l’hameçon : nous nous sentons bien toutes les trois avec ce fonctionnement et je ne suis pas prête de quitter la non scolarisation car je m’y sens à ma place. Aujourd’hui
je rechoisis l’IEF chaque année pour bien d’autres raisons que celle de mon organisation personnelle. Grâce au unschooling, je peux voir mes enfants intégrer des informations complexes en quelques minutes, non pas parce qu’ils y ont été contraints mais parce qu’ils s’y sont intéressés d’eux-mêmes.
A la maison, je peux donc transmettre sans forcer, l’ensemble du programme scolaire d’une année en l’équivalent de 4 mois d’apprentissages autonomes. C’est non négligeable pour moi. Aussi, à présent je poursuis aussi dans la non-scolarisation car il est important pour moi que mes enfants ne soient pas dans un système ou apprentissage rime avec compétition des notes mais plus dans un apprentissage par leur propre motivation.
Anne: À la base, ce n’était pas vraiment un choix. Après des expériences dans le public puis dans le privé sous contrat, qui ne nous ont pas convaincues, nous avons très vite opté pour des écoles hors-contrat, qui répondaient d’avantage à nos attentes. Mais, lors d’une mutation professionnelle de mon mari à l’étranger, nous avons dû choisir entre remettre nos enfants dans le système classique ou, pourquoi pas, à défaut d’école hors-contrat, faire l’école à la maison, pour garder cette harmonie
que nous avions appréciée entre l’école et la maison et où s’opérait une véritable continuité entre l’une et l’autre. Et c’est ce que nous faisons depuis 2 ans. C’est un choix qui s’est mûrit car il nous avait paru complètement fou au départ mais qui, à force de réflexion, a fini par s’imposer de lui-même.
Nous nous sommes beaucoup renseignés et nous avons lu divers témoignages. Nous nous sommes rendus compte aussi que nous sommes de moins en moins seuls à nous poser cette question et à prendre ce genre de décision. Notre choix est donc plus motivé par l’absence de structure répondant à nos attentes que par un véritable choix de vie délibéré.
Qu’apprenez-vous à vos enfants en IEF ?
Mélanie : Nous fonctionnons avec des cours par correspondance, pour les mathématiques, le français, l Histoire, la géographie et les sciences. Cependant, nous pouvons personnaliser la progression, aller au rythme de l’enfant. Nous apprenons à prendre du temps ensemble, à s’ouvrir à d’autres activités. J’accompagne également Anaëlle dans ses relations aux autres. Elle prend petit à petit confiance en elle et, maintenant, prend bien sa place dans un groupe d’enfants.
Elisabeth : On fait donc les apprentissages autonomes (cf le film documentaire « Etre et Devenir »). C’est ainsi que notre première fille a appris par elle-même à déchiffrer des mots et des phrases simples à partir de 3 ans. Pour l’instant cela fonctionne, mais lors des premières inspections nous mettrons surement en place plus de formalité pour la plus grande joie
de l’inspecteur. Les apprentissages sont donc informels. Nous n’ avons pas d’horaires de travail et nous apprenons au rythme des évènements que nous vivons. Le grand principe du unschooling, c’est que l’enfant a naturellement en lui le désir de grandir, d’apprendre et de se développer.
Mais pour autant, je n’attendrais pas que les fractions et l’Histoire de France inondent leurs esprits comme par magie. Donc, nous discutons beaucoup, observons, détaillons, racontons : chaque instant de vie est une occasion d’apprendre.
Par exemple : Les trajets en voiture sont des moments très propices aux apprentissages via l’observation (lecture des panneaux, apprentissage du code de la route) et la discussion calme et posée dans un espace clos comme avec les récitations (les comptines, les poésies). Par exemple, ma fille ainée a appris à lire, entre autres, grâce à certaines marques des voitures qui sont souvent très simples phonétiquement.
Quand nous nous passions devant des voitures garées en épi, les logos étant, à hauteur d’enfants, elle me demandait ce qu’ils voulaient dire et je lui répondais, en phonétique et elle mémorisait. Puis un jour, à 3,5 ans, il lui a soudainement pris l’envie de lire un mot sur un paquet de céréales et ensuite, j’ai saisi cette occasion pour nourrir cette faim de lecture qu’elle avait manifestée en lui proposant de lire elle-même des livres avec moi, des panneaux de la route, des enseignes de magasin etc. Elle a appris les chiffres en partie grâce aux numéros des bus du réseau de la ville. Les chiffres pairs et impairs lorsqu’on devait partager des gâteaux, des billes, des perles ou des jeux et par la même les nombres premiers. Les mesures en cuisine sont
aussi une bonne occasion de comprendre et d’intégrer les fractions (on y est pas encore !). Ce sont des exemples qui n’appartiennent qu’à nous et à notre environnement, mais j’aime l’idée d’éveiller l’esprit gratuitement avec des observations banales du quotidien.
Un autre des apprentissages que je leur donne est peut-être celui que je transmets dans ma façon d’être : les enfants ne sont-ils pas les stars du mimétisme ?! Donc, j’essaie de travailler sur ma façon d’aborder un problème ou un conflit à résoudre, de demander pardon, ma façon de me tenir à table, ma façon d’être à l’écoute, et je vois bien que cela ressort sur elles comme dans un miroir. Et donc, bien sûr, mes mauvais comportements aussi ne font pas exception ! Bref, je dirai aussi, que j’en apprends largement autant qu’elles malgré mes années en plus, et je suis heureuse de nous voir grandir ensemble.
Anne: Les niveaux scolaires de mes enfants s’échelonnent de la petite section à la quatrième. Ils sont inscrits dans un cours par correspondance, je ne compose pas moi-même les cours, je suis juste répétitrice. Nous apprécions l’usage de méthodes classiques, telle que la lecture syllabique, la grammaire structurante, des dictées, des problèmes, des calculs… L’Histoire est étudiée de manière chronologique et les enfants sont invités à découvrir le monde et à s’en émerveiller à travers leurs cours et dans des promenades ou des visites que nous avons la possibilité d’organiser quand nous le souhaitons. Tout s’harmonise ainsi dans une cohérence de vie que nous désirons.
Quel serait votre retour (positif et négatif) vis à vis de l’IEF ?
Mélanie : L’IEF est une chouette expérience. J’ai appris à mieux connaître Anaëlle, à mieux appréhender son mode de fonctionnement. Cela nous aide beaucoup dans les apprentissages. Nous vivons cette expérience en famille et nos 3 filles vivant tous les jours ensemble ont créé une belle relation fraternelle. Anaëlle est ravie et ne voudrait, pour rien au monde, revenir à l’école. Elle a toutes ses après midi libres pour jouer et ne s’ennuie jamais.
Elle a du temps pour faire plein d’activités (danse, cirque, musique, équitation). Elle vit des relations très sympa avec ses amis de l’IEF avec lesquels, elle passe une journée par semaine dans un parc.
Ce qui est difficile, c’est que ce choix implique une hyper disponibilité des parents, pas toujours facile au quotidien !
Elisabeth: Je dirais que notre qualité de vie est très agréable au quotidien. Je n’ai pas de contraintes horaires, j’organise ma journée et ma semaine comme je l’entends, et plus mes enfants vont grandir, plus nous allons pouvoir développer les visites culturelles. Le fait que les enfants soient au quotidien avec moi, nous a habitués à un art de vivre ensemble qui me semble nous donner beaucoup plus de facilités pour bien vivre. Pour moi, cela est beaucoup plus agréable que de les récupérer le soir ou le week-end, fatigués nerveusement et physiquement de l’école.
Je dirais aussi que la richesse des échanges vécus chaque jour, qu’ils soient heureux ou malheureux, m’est toujours très bénéfique. Je considère que vivre ces moments avec mes enfants c’est comme un trésor, même si parfois c’est difficile. Dans les retours négatifs, je me suis rendu compte que je pouvais me faire happer par trop de sollicitations. En effet, comme je suis presque tout le temps disponible, je peux me rendre à plein d’invitations, ou organiser plein d’activités. Mais j’ai réalisé que mes enfants ont aussi besoin d’être tranquilles avec leurs jeux, leurs inventions, leur créativité, leur imagination à la maison sans rien faire d’autre. En effet, j’ai constaté que mes filles ont besoin d’au moins 3h de jeux libres à la maison par jour sinon elles se couchent en miaulant : « mais maman, aujourd’hui j’ai pas joué »
Ensuite, il me semble que si on n’a pas un bon réseau IEF/unschoooling sous la main, l’isolement peut-être très mal vécu et je crois que c’est la pire chose qui puisse arriver à une maman qui veut se lancer dans l’IEF.
Et enfin, je dirais que j’ai quand même souvent le sentiment de passer pour une extra terrestre. Presque une fois par jour, j’ai une remarque interrogative sur la non scolarisation de mes enfants. Cela me donne parfois le sentiment de ne pas être à ma place tant les gens restent interdits quand je leur dis que mes enfants ne sont pas scolarisés. Des mamans scolarisantes me disent souvent, avec des yeux ahuris : « Mais, comment tu fais ? ». Comme si j’étais folle ou une espèce de super héro de l’unscho. J’avoue que cette réflexion me pèse souvent. D’abord, elle me donne l’impression que les mères me rendent exceptionnelle : « oui mais toi tu peux faire ça, parce que c’est toi ». Alors que finalement, je suis comme les mamans qui scolarisent leurs enfants, comme toutes les mamans. Parfois forte, parfois pauvre. Parfois souriante, parfois grinçante. Et mes enfants sont pareils, ni plus, ni moins, ni mieux. Je pense que nous essayons toutes de composer avec tout ce que nous sommes dans notre petit quotidien. Ma motivation principale repose sur l’espérance, de ne pas avoir peur de nos échecs et d’essayer de ne pas nous enorgueillir de nos réussites. Rien n’est facile, jamais. Tout est un challenge, et cela me plait de relever ce défi !
Anne : A première vue, l’IEF est un esclavage, qui nous maintient 24/24 à la maison avec les enfants dans les pattes… C’était un peu le côté négatif qui me sautait aux yeux ! Il est vrai que c’est un véritable métier à plein temps qui ne laisse pas beaucoup de temps pour soi. C’est fatiguant, et cela demande beaucoup de patience. Le plus difficile est de tenir ce double rôle de maman et d’enseignante que les enfants ont parfois du mal à dédoubler. Il est vital, je pense, de se garder des moments pour soi, sans les enfants, et de pratiquer différents sports ou diverses activités, de sortir avec son mari ou entre amis, pour « décompresser » et garder un bon équilibre.
Les gens s’inquiètent souvent de la sociabilité de mes enfants… De fait, ils continuent à voir des enfants de leur âge, qui sont des amis choisis. L’école n’est pas le seul lieu où l’on peut se faire des amis!! On peut d’ailleurs passer des années sans ami à l’école, rejeté ou harcelé ! De nombreuses familles font le choix de l’IEF en raison du mal-être de leur enfant à l’école.
Par ailleurs, en choisissant l’école à la maison, nous fixons nos horaires, nos vacances, nos sorties et apprécions cette grande liberté. Elle permet aux enfants d’avoir un rythme moins dense, moins fatiguant, d’avoir le temps de pratiquer des activités sportives, sans la charge des devoirs du soir à finir en rentrant, et elle permet à la maman d’avoir une organisation beaucoup
moins stressante : finies les conduites, les yeux rivés sur la montre, angoissée à l’idée d’arriver en retard à l’école. On prend le temps de voir progresser ses enfants à leur rythme, de les voir grandir, d’apprendre à mieux les connaître, à mieux comprendre leurs besoins et leurs attentes, et enfin, on essaie de leur donner la soif d’apprendre et de connaître et le goût
du travail bien fait…
C’est finalement très enrichissant et même gratifiant de voir au terme d’une année tous les progrès de chacun, et de constater qu’on a réussi à poursuivre ce challenge jusqu’au bout… L’IEF, c’est donc possible et c’est une aventure passionnante!!
© Caroline Cuinet photographe