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« Et le prince fort et blond embrassa la princesse endormie »
Quelque soit le mythe que vous vous êtes conté : beau prince, bad boy, marin ténébreux ou sportif accompli, ces rêveries « adolescentes » que l’on imagine loin dernière nous, sont en réalité bien ancrées dans notre psychisme. Il s’agit de la personne aimée, fantasmée, d’une image idéale du conjoint qui vous habite et a guidé votre choix amoureux. Il est bon de pouvoir l’identifier, dessiner ses contours et s’en distancer. « Il n’est plus comme au début », « il a changé », « je pensais qu’il était différent »… sont autant de paroles témoignant de nos difficultés à quitter nos idéalisations pour rencontrer et aimer l’autre tel qu’il est.
Ce travail amène la question de la figure du père. Celle qui apparaît également plus ou moins régulièrement lors des disputes, que ce soit sous forme de négation : « Tu n’es pas mon père » ou d’affirmation « tu es comme mon père ». Il ne s’agit pas strictement de la personne dans la réalité mais bien d’une figure intériorisée d’elle, reconstruite à partir de souvenirs, d’images, d’impressions et de sensations ; également influencée par d’autres images masculines. Ces représentations inconscientes sont souvent bien plus à l’œuvre qu’on l’imagine.
Un travail d’écriture, d’abord pour soi même, peut permettre une mise à distance. Adressez vous à cette figure interne, dites lui ce qui vous a manqué, blessé, marqué. Mais aussi remerciez-la. Remerciez pour ce qu’elle vous a donné, transmise et qui est à l’œuvre aujourd’hui. Il s’agit par là de pouvoir trouver une forme de paix intérieure avec elle. Cela peut demander ou aboutir parfois à un échange avec la personne dans le réel, tout comme rester secret dans votre carnet.
Ce questionnement autour des figures internes qui nous habitent vient plus profondément parler de nos blessures inconscientes que l’on tente de réparer par l’autre. Tout couple se fonde sur ce désir inconscient de réparation. On va alors attribuer à l’autre des qualités et compétences venant combler cette blessure. Lors des premiers moments de l’histoire du couple ces phénomènes d’illusion et de projection sont particulièrement à l’œuvre. Puis, à mesure que le principe de réalité avance, les blessures prennent plus de place. Le piège serait de rejeter entièrement la faute sur l’être aimé jugé « décevant », « pas à la hauteur », « pas comme on l’imaginait ». Et oui, si l’autre peut être une sorte de béquille psychique inconsciente sur lequel on peut se reposer, le couple a ses limites thérapeutiques.
Il est donc indispensable pour votre couple que chacun puisse trouver à l’extérieur de lui un espace d’apaisement. Vous devez être pro-active dans la recherche de cet espace quel qu’il soit : activités professionnelles, démarches thérapeutiques, engagements bénévoles, soutien amical, activités créatrices…
Ce retour sur vous-même permet également de vous interroger sur la conjointe idéale, celle que vous auriez aimé être. Car il est bien plus simple de reprocher à l’autre ce que nous n’arrivons pas à être.
Le couple est bien plus que la somme des individus qui le compose. Il est en quelque sorte une troisième personne issue de votre création. Là encore nous sommes guidés par un modèle interne de « l’être en couple ». Chacun a son propre modèle intériorisé : modalité de communication et de tendresse, distribution des tâches dans le couple, temps et activité qui lui est consacré… Très souvent influencé par le modèle parental et grand-parental, ce couple interne est à faire émerger à surtout à discuter avec l’autre ! En effet, il vous apparaît comme évident, partagé par votre conjoint. Mais il n’en est rien ! L’autre a sa propre image du couple et la rencontre des deux rend les conflits et tensions inévitables.
Ces différentes images mélangées sont donc venues influencer inconsciemment votre choix amoureux. Un exercice pour s’en distancer serait de les mettre à jour et de pouvoir, chacun, représenter cette image par un dessin concret en annotant les caractéristiques de cette personne fantasmée. Car dans un couple c’est bien deux images idéales qui se rencontrent. Il s’agit de les faire émerger et de pouvoir s’en parler l’un l’autre. Ainsi, mises en lumières et dicibles pour vous et pour lui, elles seront moins agissantes dans l’ombre.
Ce travail de deuil inhérent à la construction du couple passe par des renoncements très concrets tels que celui d’un autre qui vous devine, qui vous connaît parfaitement. Vous êtes deux êtres singuliers, chacun sur un continent différent qu’il s’agit de relier par le pont du langage. Prenons un exemple simple et pourtant si blessant : vous rêviez de ce sac croco pour votre anniversaire et malgré les dix pages web savamment laissées ouvertes sur l’ordinateur, votre conjoint vous offre une polaire chaude, pratique et confortable. Certes, vous pouvez vous dire qu’il ne comprend rien, que vous n’êtes pas choyée. Mais vous pouvez aussi choisir de vous raconter, vous dévoiler à votre conjoint afin qu’il s’ajuste à vous. Ceci lors d’une soirée en amoureux, juste à vous deux, sans enfant, ni écran entre vous. Acceptez de donner des clés de compréhension à l’autre et demandez lui les siennes.
De ce deuil de l’idéal jaillit un amour qui grandit en liberté et en profondeur : aimer l’autre dans sa singularité, dans ses défauts. Il s’agit en quelque sorte de le re choisir, avec peut-être moins d’illusions mais avec cette conviction de construire un couple unique et un amour véritable.
Mathilde Tiberghien, Psychologue clinicienne
Thérapeute familiale et conjugale