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Autant annoncer direct la couleur – je mourrais d’envie de reprendre le travail après mon congé maternité. J’étais cette maman épuisée dont le bébé ne dormait quasi jamais en journée et qui n’avait qu’une hâte : que papa rentre du boulot pour prendre le relais. Et chaque seconde de retard (le métro bloqué, le coup de fil de dernière minute, la queue à la boulangerie) était vécue comme une trahison du pacte sacré « promis-je-ne-rentre-pas-trop-tard ».
Pas que ma fille pleurait, non. Elle voulait découvrir. Qu’on la divertisse. Tout le temps. Qu’on s’occupe d’elle. Non stop. Quoi de plus normal au final ? Vous avez devant vous une maman prête à se mettre en quatre, à l’écoute de vos besoins, qui a à cœur de prendre soin de vous. Autant lui donner de quoi faire ! Sauf qu’à un moment donné, maman, elle s’est trouvée en panne de batterie. Plus envie de faire le tour du quartier en poussette matin et après-midi. Oui, je sais aujourd’hui quel chemin me fera gagner une minute ou quelle rue prendre pour en perdre trois. Je pourrais écrire un guide des rues de mon quartier. Peut-être même que ça s’appellerait : 1000 options de trajet pour vous balader avec bébé. Bref, vous voyez le topo.
J’avais envie de retrouver des collègues que j’adorais, un poste qui me stimulait. J’avais envie d’être dans autre chose que l’instinct pur et le maternage. Je m’étais rendue compte, lors d’un week-end sans ma fille, que je me retenais d’éternuer par exemple. Sûrement pour ne pas faire de bruit et la déranger si – par chance – elle avait réussi à s’endormir un peu. Alors oui, au bout de quatre mois de présence continue à ses côtés, j’osais m’avouer que j’avais besoin d’éternuer librement. Et de boire, au moins une fois dans la journée, mon thé chaud. Et puis…
Et puis vient l’adaptation au mode de garde. Pile à ce moment, vous savez, où finalement la routine commence à se mettre en place, et où les biberons deviennent moins un enjeu, et où vous vous sentez sortir la tête de l’eau. C’est un peu comme quand on se décide à aller chez le coiffeur après des jours à se dire que « définitivement, ces cheveux, ça ne va plus » et que vous n’avez jamais eu autant de volume et de brillance qu’au moment de passer au bac.
Alors c’est dur.
Quand tout se passe bien. De se dire que votre fille, elle est quand même mieux avec vous. Et que vous n’avez pas fait un enfant pour le rendre malheureux. Que c’est votre rôle de s’occuper d’elle. Que ça passe vite au final. Et que bientôt vous serez nostalgique de cette extrême intimité. Qu’un jour, même, vous l’inscrirez à l’auto école devant laquelle vous passiez durant vos balades en poussette. Et que vous vous rappellerez avec tendresse que vous aussi, vous avez été la maman épuisée que vous voyez à son tour sur le trottoir balader son nouveau né. Vous aurez peut-être envie de lui glisser un : « courage, c’est difficile, mais c’est beau – et promis, ça va aller ».
Et quand c’est plus compliqué. Quand votre enfant est un peu malade, très fatigué, que les étapes de développement (dents, marche, prise de conscience du temps qui passe) se succèdent. Qu’il le demande même, à rester avec vous, en pleurant au moment des séparations, en vous faisant un peu la tête quand vous le récupérez, en refusant de prendre le bain sans hurler ou de s’endormir seul comme avant.
Alors on culpabilise. De faire un choix pour soi. Ou d’avoir le sentiment de ne pas avoir le choix. De devoir y retourner. Que ça soit pour ne pas se perdre, en tant qu’individu, dans ce long et tortueux chemin qu’est la maternité. Ou parce qu’on a l’obligation de reprendre son poste plus tôt qu’on ne l’aurait souhaité.
Ce que je retiens de cette expérience, c’est que rien n’est définitif dans une vie de famille. Rien n’est figé. Alors que j’avais hâte de retourner au travail, ça ne faisait finalement plus autant sens. Une fois passée la magie du renouveau, je me suis vite rendue compte que je vivais assez mal le fait de ne plus connaître avec ma fille que des moments « logistiques ». Changer la couche, l’habiller, lui donner le biberon, lui donner le bain, lui lire une histoire, la coucher. Même si j’essayais de faire de chaque étape un temps de partage, nous n’avions plus le temps de ne rien faire, ensemble. Je n’avais plus l’occasion de la regarder évoluer, pour le simple plaisir de la voir grandir et progresser. Et ça me posait question.
Au bout de quatre mois, j’ai demandé à passer à 80% pour libérer une journée dans la semaine. Pas pour passer plus de temps avec ma fille. Mais pour gérer tout ce qui m’empêchait d’être pleinement disponible mentalement quand j’étais avec elle. Pour retrouver l’opportunité de perdre du temps à ne rien faire d’autre que d’être ensemble. Sans passer non plus complètement à la trappe en tant que femme.
Nous sommes toutes différentes. Chacune culpabilise pour une raison qui lui est propre. Certaines d’ailleurs ne culpabiliseront pas. Et c’est ok. La clé, c’est de trouver ce qui sonne juste pour soi, à l’instant T. Et d’oser l’exprimer. Même si ça contredit ce qu’on s’était toujours dit qu’on ferait ou qu’on serait. Même si tout un chacun vous explique que ça n’est pas possible. Que si, votre enfant a besoin de vous ; ou que non, être non stop avec lui n’est bon ni pour lui, ni pour vous. Quoi qu’il arrive, quelqu’un trouvera quelque chose à en redire. Entendez– car toute expérience est bonne à prendre -, mais faîtes le tri.
Et écoutez vous. Faites ce qui est bon pour vous, et pour votre enfant. Libérez-vous de la culpabilité. Vous avez le droit de faire les choix qui vous ressemblent. Vous en avez même le devoir. Car éduquer, c’est avant tout montrer l’exemple.