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Deuil d’une famille nombreuse : la vie est insolente parfois, pleine de belles surprises et de joies ! Mais elle sait aussi se montrer cruelle quand l’imprévu bouleverse de doux projets… Un bébé, une famille nombreuse tant espérée, un rêve de jeunesse qui s’évanouit soudainement. Fausses couches à répétition, ablation d’une trompe, rupture de l’utérus, endométriose, les raisons sont nombreuses et gardées souvent secrètes. « J’ai actuellement 31 ans et ma chance d’avoir un nouveau bébé est quasi nulle, confie Claire, mère d’un petit garçon de 3 ans. C’est une immense souffrance. » Comment avancer sereinement face à l’épreuve ? Six jeunes femmes, âgées de 27 à 34 ans, racontent leurs blessures et espoirs dans leur désir de maternité.
La trentaine, mariée depuis 5 ans, Brune raconte : « Nous avons l’habitude de nous retrouver toujours en très grand nombre avec cousins, oncles, tantes et même amis accompagnés de leurs enfants. Il nous paraissait donc évident que nous aurions une famille nombreuse avec des repas XXL, des rires à s’en décoller les poumons, un lieu de vie avec des portes qui claquent et des larmes de joie ou d’angoisse qui coulent. Nous avons parlé enfant dès le début de notre relation. Nous étions sur la même longueur d’ondes et avions même choisi le prénom de notre aîné. »
Claire renchérit : « Nous n’imaginions pas en avoir moins de quatre. Issus tous deux de familles nombreuses, il n’était pas question de priver nos enfants de cette joie ! »
Ayant un frère et une sœur handicapés mentaux, Alice avoue : « J’ai toujours souffert de n’avoir personne avec qui jouer et à qui me confier. Depuis toute petite, je rêvais d’avoir quatre ou cinq enfants ! » Mère de deux enfants et trois fois « mam’ange », Hélène, 34 ans, se souvient de la douceur de sa première grossesse : « Ma mère n’avait connu aucun problème pour nous avoir et elle m’avait transmis beaucoup de sérénité quant au sujet de la maternité. Nous nous imaginions avec une famille d’au moins quatre ou cinq enfants ».
Des rêves de maternité plein la tête, le choc est d’autant plus rude pour affronter un terrible constat…
« J’entends encore les mots raisonner dans ma tête : « Vous avez moins de 10% de chance d’avoir un enfant naturellement ». Ces mots étaient ceux d’un grand spécialiste de l’infertilité », se rappelle Brune, atteinte d’endométriose, du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) et dont le mari souffre de teratospermie. « J’ai senti un gouffre autour de moi, le noir, le silence, la peur, la tétanie et aucun mot n’est sorti de ma bouche. J’ai très vite compris l’importance de notre infertilité et ce à quoi j’allais devoir faire face. Il m’a fallu plusieurs mois avant que j’intègre réellement le fait que nous n’aurions probablement pas la famille tant désirée.»
Suite à deux grossesses extra-utérines (GEU) mal soignées et plusieurs fausses couches, Claire subit l’ablation d’une trompe et reçoit un diagnostic très pessimiste. « Je l’accepte parce que ce n’est la faute de personne. Quand le médecin me l’a appris, il m’avouait en même temps ne pas comprendre comment j’avais eu un fils vu l’état de mes trompes. Du coup, j’étais à la fois triste de cette nouvelle et heureuse d’avoir déjà un enfant.»
Pareil pour Joséphine, dont l’utérus est devenu trop fragile pour une quatrième grossesse : « J’ai beaucoup pleuré cet enfant espéré, mais j’ai aussi remercié le ciel de m’avoir permis une troisième grossesse sereine, alors qu’elle aurait pu être dangereuse. De temps en temps, je me dis encore : « et si on prenait le risque ? » Mais je reviens de plus en plus vite à la raison, car je préfère profiter de mes trois enfants plutôt que vivre dans l’espoir d’un quatrième.»
Mère de deux jeunes enfants, Angélique est sous le choc de l’annonce : « A 27 ans, je suis en insuffisance ovarienne précoce… La cause n’est pas explicitement définie, mais j’ai un ovaire, qui ne fonctionne plus, suite à l’opération d’un gros kyste ovarien. Dans deux, trois ans, je serai stérile ! J’essaie de garder le moral et rêve quand même d’un petit dernier ».
La plaie est encore ouverte pour Alice, porteuse saine d’une anomalie chromosomique rare se révélant lourde si ses enfants sont malades. « Le diagnostic est tombé un peu moins d’un an avant notre mariage. Cela a été très dur à accepter pour moi, je culpabilisais énormément d’empêcher mon fiancé et futur mari de pouvoir fonder sereinement la famille dont nous rêvions. Et je culpabilise encore aujourd’hui… »
Ayant perdu un premier bébé au moment de l’accouchement, puis un deuxième au cours du cinquième mois de grossesse, sans raisons apparentes, Hélène fait face : « Les analyses ont été plus poussées et plus nombreuses… On m’a finalement annoncé une pathologie placentaire auto-immune très rare, l’intervillité chronique, pour laquelle il n’existe aucun traitement. Un nom barbare avec de longues explications qui signaient la fin définitive de l’espoir d’une grossesse tranquille avec un bébé en bonne santé.»
Une fois le diagnostic posé, aussi lourd soit-il, démarre un long cheminement intérieur… « Le deuil d’une famille nombreuse ne se fait pas en un jour, continue Hélène. Il est long et honnêtement, même si je sais que cela n’est plus possible, je ne suis pas sûre de l’avoir totalement fait. Entre le cycle féminin qui me rappelle souvent que je pourrais encore être enceinte et les familles nombreuses autour de nous, cela ne simplifie pas ce chemin de deuil ».
Sur ce chemin, viennent des moments sombres où chacune découvre des sentiments contraires et des réactions épidermiques. Joie pour les grossesses des autres, mais aussi tristesse, colère, jalousie, injustice. Toutes apprennent alors à se protéger pour continuer d’avancer. Quitte à se détacher de certains proches pour mieux revenir, une fois la sérénité retrouvée… « Ma souffrance était trop grande et je souhaitais ne pas me faire encore plus mal. J’ai pris le temps nécessaire pour revoir certains amis », révèle Hélène.
« Il m’a fallu du temps avant de le dire à haute voix, confie Brune. J’avais honte de ne pas réussir à concevoir un enfant quand certaines le faisaient en un claquement de doigt. J’ai appris à m’écouter, à respecter mes sentiments négatifs, à aimer tout de même mon corps qui refuse de fonctionner. A ne pas pleurer sur mon sort, car après tout nous ne sommes pas stériles. Cette blessure étonnement, je la chéris et la chouchoute. » Pour Alice, « elle est encore complètement à vif. Je ne comprends pas pourquoi tant de gens vivent des vies sans accrocs, sont heureux avec leurs enfants, alors que cela ne m’est pas accordé ».
« Le plus douloureux, avoue Claire, reste les moments où vous apprenez des nouvelles de grossesses ou naissances. Et c’est encore pire quand on sent que les gens prennent des pincettes ! Je cherche à tout prix à lutter contre le sentiment naturel de jalousie qui m’envahit à chaque fois. Je veux me réjouir pour les autres. Et je ne veux surtout pas que mes amies craignent de partager leur joie ! » Idem pour Brune : « Au début c’était terrible, durant les annonces en public, je devais me cacher pour aller pleurer. Et pour les annonces par téléphone/SMS/mail, je prenais le temps qu’il fallait pour mettre la jalousie de côté et répondre lorsque j’étais vraiment heureuse pour l’autre. Aujourd’hui, il n’est pas rare de me voir boire le verre que j’ai à la main d’un coup pour me ressaisir lors d’une annonce en public, mais je me réjouis réellement et pleinement de la nouvelle. »
Alice ajoute : « Quand une amie m’annonce une grossesse ou une naissance, c’est à chaque fois comme un coup de poignard dans le ventre. J’ai beaucoup de mal à me réjouir pour elle, la jalousie et l’incompréhension l’emportant souvent sur la joie sincère pour mon amie. Mais je culpabilise énormément de cette réaction. » Hélène conclut : « Il m’a fallu du temps pour accueillir cela, et surtout comprendre que ce n’était pas ceux en face qui me faisaient souffrir, mais que cela me renvoyait à ce que je n’avais pas ».
Il est toujours difficile pour l’entourage de manifester son affection et son soutien dans cette épreuve. Selon Brune, certains écueils sont à éviter. « Les phrases comme : « C’est psychologique », « Je connais quelqu’un qui pourrait te débloquer », « N’y pense pas et ça viendra tout seul », « T’es jeune, t’as le temps ». Ou encore « Tu sais, je connais une amie à qui c’est arrivé… », « Prends-tu des vitamines ? ». Mais le pire pour moi est : « J’ai beaucoup d’espoir pour vous » ou « Je prie pour vous ». J’ai conscience que ces mots sont bienveillants et je remercie toujours sincèrement la personne, mais j’ai la sensation d’être un cas désespéré. L’espoir d’avoir une famille biologique est illusoire pour moi. »
Alice confirme : « Avant la naissance de notre fils, le plus douloureux était les remarques anodines de certaines personnes de notre entourage : « C’est pour quand le bébé ? Vous pensez avoir des enfants rapidement ? », alors que nous essayions sans succès depuis plusieurs mois, avec cette angoisse de ne pas y arriver ou que notre enfant soit malade. Aujourd’hui, les remarques telles que « Ne vous en faites pas, vous en aurez d’autres » me blessent énormément, car dans notre situation, c’est loin d’être si évident ».
Pour Claire, « le plus difficile est de vivre la souffrance différemment avec son conjoint. Il faut apprendre à accueillir sa colère, ses incompréhensions, ses larmes aussi… C’est très dur ! »
En effet, « il faut apprendre à faire le deuil et ce n’est pas évident, poursuit Claire. On s’est déjà dit une vingtaine de fois : « On ne s’est pas mariés pour ça ! » Cette épreuve est l’occasion pour chaque couple de se découvrir autrement…
Joséphine remarque : « Mon mari reste très vigilant à chaque fois que nous allons voir des amis avec des bébés. Je sens que ça le touche aussi. Je ne soupçonnais pas qu’il avait autant envie d’un quatrième enfant. Nous partageons donc cette peine et ce deuil ensemble. » Hélène raconte : « J’ai aussi la chance d’avoir traversé toutes ces tempêtes avec mon époux. Personne n’est jamais tombé du bateau, même s’il y a eu bien des moments où il a fallu s’accrocher très fort pour ne pas sombrer. Nous portons ce deuil de familles nombreuses à deux, chacun à notre manière, mais à deux ! »
Brune admire elle aussi son mari : « Je le trouve encore plus beau qu’avant ! Il a accueilli le diagnostic avec beaucoup de philosophie et de naturel. Beaucoup d’hommes se sentent atteints dans leur virilité lorsqu’ils sont infertiles. Mais lui ne voit pas le problème ni le rapport. Quelle chance ! Et l’adoption est une évidence pour lui. »
« Cette épreuve peut rapprocher un couple comme le briser, confie Claire. Très récemment, mon mari m’a dit : « Je sais que tu n’y es pour rien, mais je te pardonne. Je crois que je t’en voulais et j’en suis désolé. » Je suis tombée de ma chaise… Car je n’imaginais pas un instant que mon mari aurait pu m’en vouloir même inconsciemment. Sa démarche m’a touchée et m’a fait un peu mal aussi… C’est le dur apprentissage de la communication conjugale ! Il faut que ça sorte ; on ne doit jamais garder une colère pour soi ».
Alice confirme : « Avant notre mariage, nous avons réfléchi à de nombreuses questions que la plupart des autres couples ne se posent pas. « Et si nous n’avions pas d’enfants ? Et si nous avions un enfant handicapé ? » Cela nous a certainement permis de nous rapprocher, de mieux nous connaître et de pouvoir faire face à ces épreuves, main dans la main, en restant soudés. »
Brune résume : « Nous sommes un couple heureux et nous sommes chanceux de nous être trouvés. Nous avons confiance en l’avenir. Nous savons que nous aurons un foyer bien à nous, même s’il sera sûrement différent de ce que nous avions imaginé. »
A chacune de donner une nouvelle direction à sa vie et du sens à cette épreuve. Pour avancer et trouver un nouvel élan ! Joséphine s’exclame : « Avec mon mari, nous nous sommes dits que comme nous ne pouvions pas faire plus, nous allions tenter de faire mieux. Nous nous sommes formés à la discipline positive, avons pris plus de temps pour notre couple. Et nous avons encouragé nos enfants à commencer la musique. Nous avons aussi décidé de partir chaque année tous ensemble en voyage pour faire découvrir aux enfants des pays différents ».
Angélique, elle, se passionne pour la photographie : « Sublimer les beaux ventres ronds des femmes enceintes et les jolies bouilles de bébés m’aide beaucoup à voir le beau malgré tout. Et j’ai comme projet de devenir auxiliaire de puériculture. »
Brune a repris le sport, qu’elle aime tant, et se réjouit du futur : « Nous avons le projet d’adopter des enfants, et beaucoup si possible. Un jour, j’aimerais pouvoir apporter mon aide dans des pouponnières ou des orphelinats. La nature n’aime pas le vide et le vide chez nous s’est transformé en un trop plein d’amour. Je voudrais pouvoir l’apporter à ceux qui en manquent ou en souffrent. Je me suis libérée. J’ose aimer et être maternelle avec nos familles, neveux, nièces et amis. » Et si c’était le secret d’un bonheur retrouvé ?
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