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Exister c’est faire…c’est bien vu d’être débordée, d’avoir un agenda plein à craquer, de courir. D’ailleurs, nous avons tous tendance à trouver un peu louches les personnes peu actives. Nous les imaginons flemmards, nonchalants ou indifférents. Nous avons tendance à survaloriser les gens qui accomplissent tout un tas de choses et à croire que les plus oisifs sont désorganisés ou pire, égoïstes.
Je cours donc je suis. Je fais plein de choses donc j’existe. J’ai une journée pleine de conduites, d’activités, de tâches ménagères, d’attentions pour les uns et les autres donc je suis une super maman. Je chasse les temps morts, j’optimise le temps et l’énergie dont je dispose, j’ai toujours quelque chose en cours, je me rassure par l’hyperactivité permanente. Mon rapport au temps est essentiellement orienté vers l’efficacité et l’utilité. Il me file toujours entre les doigts et je culpabilise souvent à la moindre pause.
Quand je croise quelqu’un, je lui présente un visage souriant, actif, plein de vie mais aussi un peu speed. Mon pas est énergique, j’arrive à peine quelques instants avant la sortie des classes et je pars souvent rapidement après avoir récupéré mes schtroumpfs. A l’intérieur, ça déborde. Personne ne voit mon bouillonnement intérieur, la pression sous laquelle je suis et les équations qui occupent mon esprit pour réussir à tout faire en (toujours) trop peu de temps.
« C’est normal c’est une jeune maman », « C’est normal elle a plein d’enfants », « Wah impressionnant tout ce qu’elle fait », « quelle abnégation ! » sont les réactions approbatrices que je peux lire dans le regard de mes amis ou des gens qui m’entourent. Tant de signaux qui me disent que c’est bien, que c’est la bonne attitude, que c’est là qu’on m’attend et que je suis utile.
Je presse les enfants qui traînent, accorde parfois trop peu d’oreille au récit de leurs journées, je suis physiquement là mais souvent mentalement ailleurs. Je suis déconnectée du moment présent. Angoissée par l’après, par toute la routine qui nous permet d’apercevoir la ligne d’arrivée, le finish tant attendu : ce moment où tout ce petit monde est couché.
Quand je suis avec une amie, j’ose lui confier que je me sens déconnectée de moi-même. Emmêlée dans le quotidien que je sais organiser mais pas vivre.
Que se passerait-il si j’abandonnais un peu mon masque de maman au bord de la crise de nerfs ? Le temps nous semblerait un peu moins court, on se coucherait un peu plus tard, on mangerait un peu moins équilibré, on porterait peut-être deux fois un pull un peu tâché, on ferait les courses un peu plus souvent…on jouerait, on sourirait, on s’amuserait, on profiterait, on se détendrait beaucoup plus. Laisser de côté ce masque qui me permet d’exister c’est laisser de la place au vide.
Le vide qui me ressource, qui me remplit, qui me rend humaine, vulnérable et imparfaite. Ce vide qui se nourrit des bons moments passés avec ceux qu’on aime, des blagues partagées, de l’écoute attentive des autres, des sourires échangés à la sortie de l’école (ceux-là même que je ne voyais plus et les nouveaux de celles qui se sentent appartenir au même clan que moi, la maman qui lâche prise).
Abandonner mon masque, cela peut sembler terrifiant, abyssal. C’est laisser tomber la pression, me montrer telle que je suis, reconnaître mes limites pour découvrir et accueillir ce qui se passe ensuite…