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On nous prépare pendant 9 mois à accoucher. Au jour J.
Mais l’on ne nous prépare pas à « l’après ». Or ce sont les jours qui suivent la naissance qui sont les plus mystérieux, les plus angoissants, les plus fatigants. Personnellement, je n’appréhendais pas trop l’accouchement en lui-même, même si c’était mon premier. J’étais confiante, je me sentais préparée, j’avais eu plusieurs naissances dans mon entourage et ma famille. J’attendais ce jour avec impatience et sérénité. Et cela s’est d’ailleurs très bien passé. 3 jours avant le terme, j’ai ressenti mes premières contractions. Intenses, douloureuses, immédiatement régulières et rapprochées. C’était le moment. Nous sommes rapidement partis à la maternité où j’ai été prise en charge très vite. Le col ouvert à 3, j’ai eu droit dans la foulée à la péridurale et 8h après la première contraction, nous entendions le premier cri de notre fille, Jeanne. Nous la serrions dans nos bras, enfin. Un accouchement idéal, parfait dont je garderai à jamais un souvenir merveilleux.
Mes interrogations étaient plutôt tournées vers les premiers jours avec mon bébé et mon compagnon. L’organisation de notre nouvelle vie, les doutes, les maladresses, les peurs. La mise à l’épreuve de notre couple avec ce bouleversement qu’est, forcément, une naissance. Je suis tombée enceinte un peu par surprise, un peu plus tôt que « prévu », même si nous avions ce désir d’enfant tous les deux.
Bref, je m’attendais à tâtonner dans les jours qui suivraient la naissance, mais je me sentais prête, je nous sentais forts, après une grossesse qui nous avait considérablement rapprochés, soudés et renforcés avec mon amoureux. Mais je ne m’attendais pas à ça.
Après la maternité, j’étais contente de rentrer à la maison. Soulagée, après 3 jours pesants et difficiles, où je m’étais sentie un peu abandonnée à mon sort, peu soutenue par le personnel des suites de couche. Heureusement, l’accompagnement post partum est très bien fait en France. J’attendais les visites à domicile de la sage femme avec impatience pour lui poser toutes mes questions. Sur l’allaitement, sur le sommeil, sur les pleurs. J’avais l’impression de mal faire. Et surtout que les erreurs que je faisais allaient forcément conditionner la suite de la vie de ma fille…
Moralement, les 3/4 jours qui ont suivi l’accouchement ont été plutôt bons. Avec les nombreuses visites, le tourbillon permanent et la joie de la naissance de Jeanne, j’étais portée par une force mystérieuse qui semblait me protéger de la fatigue. Mon compagnon a été un roc solide sur lequel m’appuyer en permanence (il gérait toute l’intendance de la maison, en plus de son rôle de papa avec Jeanne), un allié précieux dans cette tempête des premières semaines. Une évidence entre nous.
Physiquement, j’ai quand même rapidement accusé le coup (des saignements abondants et épuisants, une cicatrice douloureuse due à une déchirure et une perte de poids importante qui me rendaient assez faible) et l’allaitement me pompait beaucoup d’énergie. La baisse de moral est arrivée plus tard, de façon plus diffuse qu’un baby blues de 3 jours. Je me mettais à pleurer pour rien, d’épuisement, d’incompréhension, de déception. Ma fille ne dormait quasiment pas de la journée, pleurait beaucoup, réclamait le sein en permanence et j’avais le sentiment de ne pas y prendre beaucoup de plaisir et surtout d’être responsable de cet apprentissage difficile. « On devrait la laisser plus pleurer », « on lui donne de mauvaises habitudes », « elle doit sentir que je ne suis pas une grande fan de l’allaitement.. » Autant de reproches que je me faisais à moi-même, silencieusement, et de façon répétées, malgré le soutien et les paroles rassurantes de mes proches. Heureusement, ces moments d’abattement – presque de désillusion par rapport à cette maternité, à ce rôle de Maman que j’avais attendu avec tant d’impatience mais qui semblait ne pas me correspondre autant que je l’imaginais – ces moments d’abattement donc, s’effaçaient dès que Jeanne dormait paisiblement dans mes bras ou ceux de son père après la tétée. Quand ses petits sourires aux anges venaient illuminer son si joli visage. Quand son regard curieux commençait à se poser sur les choses. Ou quand ses petites mains s’agrippaient aux miennes. Je me suis sentie assez naturellement Maman. C’était instinctif. Il n’y avait pas de doute là dessus. Mais j’avais peur d’être dépassée par ces premières semaines. De mal faire et d’en payer les conséquences plus tard. Dans ces moments-là, la force et l’amour d’un couple sont précieux, indispensables. Et l’aide de l’entourage aussi.
L’expérience d’autres jeunes mamans. Une amie m’a particulièrement aidée en m’exhortant à ne pas me laisser ronger par la culpabilité. En m’expliquant que j’avais le droit de ne pas adorer l’allaitement. Et d’arrêter. Que j’avais le droit de ne pas me sentir la plus épanouie et la plus heureuse des femmes. Que personne ne m’en voudrait. Que j’avais droit d’avoir besoin de temps pour laisser de la place à cet amour maternel. On m’a conseillée de ne pas « m’oublier », de m’écouter, de me faire confiance. Des paroles précieuses. Mais qui auraient dû, je pense, arriver bien avant. Sans alarmer les futures mamans, et noircir le tableau avant même que l’enfant soit la, au moins aborder ces thèmes, en parler ouvertement, pour les préparer.
Personnellement, je n’étais pas préparée à être autant mise à l’épreuve dans mon rôle de Maman. Je pensais que les choses se feraient plus facilement, plus naturellement. Que l’amour inconditionnel qui nous lie à notre enfant serait plus fort que tout. Mais cet amour-là et cet attachement-là, bien qu’instinctifs, ont mis du temps à se vivre avec un réel plaisir, sans arrière-pensée. Avec apaisement. Et c’est normal, il FAUT du temps. Pour moi, c’est un amour progressif, qui ne cessera de grandir, mais qui doit s’apprivoiser. Quand les choses se sont mises en place, petit à petit, et que les journées et les nuits ont été plus faciles et reposantes, la magie a finalement opérée. Mais nous avions besoin de ce TEMPS, toutes les deux, tous les trois même, pour nous apprivoiser, pour apprendre à nous aimer avec sérénité. Et c’est l’appréhension de cette temporalité qui manque parfois dans la préparation à la naissance.
La vie avec Jeanne, la vie à 3 est vite devenue un bonheur sans nom. Mais ce sentiment de plénitude permanent, quel que soit le moment de la journée, l’humeur, l’état physique, n’a pas été immédiat et spontané. Et c’est cela qui a été le plus dur à vivre. Le plus surprenant. Je m’attendais vraiment à être émerveillée et pleine d’amour immédiatement et à chaque seconde. Cela n’a pas été le cas (et je m’en rends compte aujourd’hui, c’est normal, ce n’est pas « mal ») et cela a été très perturbant et culpabilisant. Et la culpabilité est un poison qu’il est important de ne pas laisser s’installer. J’ai eu la chance d’être entourée, et ce poison ne s’est pas installé. Aujourd’hui je vis pleinement, et avec un bonheur infini et une joie chaque jour plus grande, mon rôle de Maman, mon compagnon à mes côtés, et notre fille au sein de notre famille.Mais je me fais un devoir de parler de ces premières semaines éprouvantes et déroutantes. Car je refuse d’entretenir ce tabou qui semble encore exister autour de cette difficile période. Il n’y a pas de honte à avoir de s’être sentie mal dans son rôle de maman au début. Il n’y a pas de honte à avoir de ne pas avoir autant aimer qu’on le devrait ces tous premiers moments avec son bébé. Au contraire. Il faut savoir s’écouter, laisser de la place à ces sentiments nouveaux et perturbants qui s’abattent sur nous les premiers temps, pour pouvoir les appréhender de la meilleure façon, et ainsi gagner en sérénité. Et pouvoir DEVENIR maman.
Photo : @archae-heart.tumblr.com