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« À la pharmacie, l’autre jour, alors que j’attendais patiemment mon tour en regardant mon petit garçon de trois ans se balancer sur un élan rouge à bascule, installé là pour canaliser l’énergie des petits clients, tout près du rayon puériculture, (ne nous y trompons pas, au cas où l’on se laisserait tenter par le dernier savon très très doux d’une marque de cosmétique infantile…), mon regard s’est porté sur une grande affiche publicitaire montrant une femme qui serrait contre elle un test de grossesse que nous supposons positif, compte tenu de son sourire perdu et de la phrase « vous souhaitez tomber enceinte ?… »
Ces quatre mots, juste au dessus de mon petit garçon : « Vous souhaitez tomber enceinte ? » m’ont amusée. Ou horrifiée. Ou agacée. Et si, précisément non, « on » ne souhaite pas tomber enceinte à nouveau, mais que, depuis deux ou trois jours il y a comme quelque chose qui, au fond de soi, ne fonctionnait pas tout à fait comme il faudrait. Si, à chaque minute, durant ces deux ou trois jours, on reste particulièrement à l’écoute de son corps, de ses maux, sans que ceux-ci ne nous rassurent en rien par leur absence totale ?
Et si on devait en venir à acheter ce fameux test, aurions-nous alors ce sourire perdu en voyant apparaître deux barres roses ?
Et me voilà trois ans en arrière. Ou plutôt trois ans et neuf mois en arrière. Parce que lorsque je suis allée acheter ce test il y a presque quatre ans, je n’avais pas du tout envie de « tomber enceinte ». C’était même carrément l’angoisse. Mon corps était usé de mes précédentes grossesses, la maison trop petite, la voiture pas adaptée, le salaire pas suffisant, le temps trop court, la réservation pour les vacances d’été déjà faite, les vêtements de bébé usés, le transat très loin dans le grenier, les roues de la poussettes dégonflées, le chat de la voisine pas vacciné et le vent dans le mauvais sens. Bref, non et non, ce n’était pas pour moi, pas maintenant, pas tout de suite, pas comme ça, pas possible. Et pourtant, les deux barres, elles, étaient là. Même en retournant le test dans l’autre sens, il n’y avait pas de doute permis : une barre et une barre ça fait bien deux barres.
Alors non, je n’ai pas souri béatement en serrant contre moi le test. J’ai eu le vertige. Et il a fallu le dire à ma moitié, à mon mari aimé et aimant. J’ai eu le sentiment d’avoir dix ans à nouveau et de craindre les foudres du paternel, le jour ou j’ai dû avouer que j’avais nettoyé sa voiture avec le coté vert de l’éponge… Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le futur père n’a pas souri béatement non plus.
La même journée, une très bonne amie s’est confiée à moi, elle venait de faire une fausse couche. Elle était désemparée de ne plus être enceinte. Comment lui dire alors que j’étais désemparée de l’être, moi ?
Alors oui, à cet instant là j’ai tapé « IVG » sur Google. La solution semblait pratique, facile, quasiment pas douloureuse et réglerait le problème. Et puis, j’ai pleuré. Pleuré de honte, d’inquiétude, pleuré pour mes enfants qui allaient être les dommages collatéraux du poids d’un de plus, pleuré pour mon mari qui se donnait déjà tant de mal à nous faire bien vivre. Et puis, j’ai pleuré d’arriver à penser ne pas garder cette vie naissante. Un épais brouillard m’a envahie. J’ai eu froid.
Neuf mois pour faire un bébé, ce ne sont pas seulement neuf mois pour qu’il soit tout prêt tout rose, non. Ce sont aussi neuf mois pour être prêt à l’accueillir, à se faire à l’idée que notre vie va devoir changer, notre confort revu. Neuf mois pour être capable de le recevoir lui aussi comme un merveilleux cadeau dont on ne pourra plus jamais se passer. Ces neufs mois ont été douloureux de scrupules, de questions. Ce n’était pas une grossesse sereine, épanouie. Je n’ai pas ressenti cette plénitude grisante des fois précédentes.
Et puis, en ce samedi pluvieux du mois de septembre, il était là. Magnifique, doux, parfait. L’alchimie a opéré. Les doutes et les inquiétudes se sont envolés : c’était lui, il était là, sa place était évidente.
… Le pharmacien m’a servie, le petit homme est descendu de son élan rouge à bascule, il est venu mettre sa main dans la mienne en me disant « tu viens maman ? ». Oui mon chéri, j’irai ou tu voudras, pourvu que je sois avec toi. » Christel
© Crédits photos Annaclick pour Maman Vogue