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« Maman s’est aperçue que j’entendais mal lorsque j’avais 3 ans. Cela correspondait à la naissance de ma petite sœur et quand elle m’a emmenée passer des tests pour évaluer mon audition (audiogrammes), l’ORL lui a dit que j’entendais parfaitement bien, que je voulais juste me rendre intéressante.
Même si elle n’a jamais cru ce médecin qui pensait être bon psy et m’a soutenue ; cela a été une vraie blessure de me sentir incomprise. Malheureusement ce fût la première d’une longue série…
Les médecins n’ont pas voulu m’appareiller et aujourd’hui, je sais que ça a été une grosse erreur. J’ai poursuivi ma scolarité avec plus ou moins de difficultés : sur les bulletins scolaires mes maîtresses écrivaient « enfant rêveuse et timide », « des problèmes de concentration » une fois j’ai même eu le droit à « paresseuse », sympa ! Était-il pourtant si difficile pour des adultes de comprendre que pour un enfant qui entend mal, le simple fait d’écouter une leçon, de lire sur les lèvres et de deviner la moitié des mots qu’il entend est tout simplement épuisant ? Était-il si difficile de comprendre que répondre à une question que je n’étais pas certaine d’avoir comprise correctement était une source de stress intense ? Était-il si difficile de comprendre que je me sentais seule, isolée et n’avais que très peu d’amis tout simplement car je ne comprenais rien à leurs jeux ?
Combien de petites blessures ai-je eu dans mon enfance… Je pense que ce sont-elles qui m’ont rendue écorchée vive à l’adolescence et qui ont participé à faire de moi cette femme qui ne supporte ni la méchanceté ni les moqueries. Ce sont elles qui m’ont rendue plus forte et probablement difficile à vivre. Je suis sourde et vous ne parlez pas suffisamment fort ? Et bien puisque c’est ça je vais crier !
J’ai rencontré l’homme de ma vie très jeune et nous nous sommes mariés tôt. Je me souviens d’une scène alors que nous étions jeunes fiancés : il venait de me présenter ses amis quand mon portable a sonné très fort. L’un d’eux s’est exclamé en riant « Oh la sonnerie de sourd « ! ». Gros malaise quand mon fiancé lui a répondu « Elle est sourde ». Il était tellement gêné ! J’en ris encore ! J’étais devenue capable d’assumer ce handicap et arrivais même à faire illusion. Ma technique quand je ne comprends pas la moitié de la conversation : sourire. Ça marche ! Rire de ma surdité et des quiproquos qu’elle peut engendrer a probablement été ma meilleure réaction pour l’accepter et la faire accepter. Ce comportement m’a permis d’esquiver les moqueries même si au fond de moi-même il y avait toujours une part de tristesse.
Notre bébé est arrivé la première année de mariage. Comme toutes les mamans qui ont leur premier enfant, j’ai dû faire face à cet immense chamboulement qui nous rend mère et nous angoisse un peu les premiers jours qui suivent la naissance. J’ai dû aussi faire face à une autre angoisse : ne pas entendre mon bébé pleurer, ne pas réagir quand il s’étouffe ou quand il se passe quelque chose d’anormal. C’est probablement là que mon mari à commencé à comprendre réellement ce que c’était de vivre avec une sourde ! On dit souvent que la nuit quand un bébé pleure le papa n’entend rien et c’est la maman qui se lève. Chez nous cela n’a pas été le cas : combien de fois s’est-il retrouvé à s’occuper de notre fille pendant que je dormais les poings fermés ? Il y a probablement eu des fois ou ni l’un ni l’autre ne l’avons entendue. Étrangement, nos enfants ont tous fait leurs nuits assez tôt…
Mon manque de discrétion quand je ferme une porte ou augmente le son de la TV est probablement très fatigant pour mon mari. En effet, je dois reconnaître que si à l’extérieur je fais mon possible pour que ma surdité ne se remarque pas ou peu, à la maison, je me lâche ! Du côté des enfants je crois qu’ils en rient souvent et en profitent pour faire des messes basses que bien sûr je n’entends pas !
Souvent, ma surdité est source de petites exaspérations conjugales. La plupart du temps, c’est moi qui en suis à l’origine. Cette impression de devoir faire répéter les choses systématiquement alors que « depuis le temps, tu sais bien que je n’entends pas » m’épuise. Tout comme le « articule mais pas trop » suivi du « reformule ta phrase » ou du « enlève-ta main devant ta bouche, je n’entends pas ». Au final cela nous énerve tous les deux. Si bien que parfois je ne le fais pas répéter ou alors c’est lui qui me lance un « non rien », ce qui a le don de m’horripiler : je veux savoir ce qu’il a dit même si c’est sans importance ! J’avoue, parfois j’arrive à deviner ce qu’il me dit et je ne réponds pas… C’est mal !
Pourtant, je suis bien contente de le retrouver quand nous sommes en société. Les aveugles ont leur chien, moi j’ai mon mari, la comparaison n’est pas flatteuse mais elle est pourtant vraie ! Si je le peux, je me mets à côté de lui, en douce je lui demande de me répéter le sens d’une conversation quand je ne parviens pas à la suivre parce que tout le monde parle en même temps ou trop vite. Souvent, il voit à mon attitude ou à mon regard que je ne comprends pas et il anticipe : « Le monsieur te demande si… ». Selon les gens avec qui l’on est cela peut être très drôle ! D’ailleurs maintenant je préviens systématiquement que je suis sourde et pas neuneu. Sur un malentendu on ne sait jamais…
Dans ces cas précis, cette surdité a créé une complicité entre nous deux. Nous avons appris à nous observer, à interpréter nos langages corporels. J’arrive à savoir ce qu’il pense ou va me demander et lui arrive à deviner quand je ne comprends pas quelque chose, visiblement j’ai un regard très expressif. Cette formule parait étrange de la part d’une sourde mais ce handicap nous a rendu à l’écoute l’un l’autre. Récemment, lorsque nous avons suivi un parcours Alpha couple, nous avons réalisé que nous connaissions parfaitement nos attentes réciproques sans avoir besoin de les formuler.
Mon audition a encore chuté et je n’arrive plus à utiliser les stratégies que j’ai mises au point depuis que je suis toute petite. Je me suis enfin résignée à me faire appareiller. Je crois que cette décision a été un grand soulagement pour mon entourage. Néanmoins ces prothèses ne remplaceront jamais des oreilles et je dois faire comprendre à ma famille l’idée que je n’entendrai jamais aussi bien qu’eux. « Est-ce que vous pensez que si on met une jambe de bois à un unijambiste il courra aussi bien que vous ? Et bien pour moi c’est pareil » . Je sais aussi qu’il y aura des déceptions. L’audioprothésiste les a prévenus : au départ je parlerai moins fort mais ensuite le naturel reviendra au galop.
Je porte mes appareils depuis deux semaines et découvre des sons que je ne connaissais pas. Régulièrement je demande à mon mari de m’interpréter un bruit : la soufflerie d’un ordinateur ou d’une vmc, l’eau qui passe dans des tuyaux. Je découvre à quel point notre monde est bruyant. Quant à mon mari, il réalise de manière concrète à quel point je n’entendais pas. Cette expérience nous permet de mieux nous comprendre l’un l’autre. »
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Perrine de Robien