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Maman Vogue a souhaité interviewer Jean-Philippe et Elisabeth Debergh. Ils sont parents de jumeaux dont l’un est porteur de trisomie 21 et auteurs du compte Instagram @x3ordinaire. Au cours de cet entretien, vous découvrirez leur aventure de parents de jumeaux dont l’un est trisomique. Merci pour votre sincérité, votre message d’espoir et votre sourire face à ces vies extraordinaires !
Nous sommes Jean-Philippe et Elisabeth , 29 et 27 ans, mariés depuis 2 ans. Nous sommes les parents de Gabriel et Christian nés le 24 avril 2018. Et nous vivons dans le Val d’Oise (95).
Nous avons appris la trisomie 21 de Christian à 32 semaines d’aménorrhée et 3 jours. Au début de la 33ème semaine d’aménorrhée, lors d’une échographie, il a été confirmé que Christian avait des soucis d’alimentation via son cordon ombilical (anomalie au niveau du doppler ombilical, sans rapport avec la trisomie).
Mon gynécologue (en maternité de niveau 2) m’a obtenu un rendez-vous en maternité de niveau 3 dans le service des Grossesses à Haut Risque afin d’examiner la situation.
Là-bas, l’anomalie a bien été confirmée mais on a également découvert une cardiopathie chez Christian. Jusque là aucun des échographistes n’avait vu la cardiopathie. C’était une Communication Inter Ventriculaire, donc un trou entre les deux ventricules, et sinon tout le reste était parfait. Comme c’est souvent lié à une anomalie chromosomique on m’a fait faire en urgence une amniocentèse. Le lendemain je revenais à l’hôpital pour débuter l’hospitalisation de surveillance concernant le doppler ombilical, et le surlendemain nous devions avoir le résultat de l’amniocentèse.
La responsable du service des GHR, qui me suivait là-bas, est entrée dans la chambre avec une mine défaite et nous a annoncé qu’elle avait une mauvaise nouvelle, et que c’était une trisomie 21.
Avec mon mari nous étions sous le choc. Son frère de 20 ans est porteur de trisomie 21, et nous n’imaginions pas « possible » d’avoir nous aussi un enfant trisomique (quelles sont les probabilités…). Tout en écoutant la gynécologue nous expliquer ce que cela signifiait, j’essayais de garder le sourire mais j’ai beaucoup pleuré.
Garder le sourire, car nous savions que nous aimerions notre enfant qu’importent les résultats de l’amniocentèse, et parce que je savais, grâce à l’exemple de mon beau-frère et de ma belle famille, que Christian serait un petit garçon joyeux et aimant, qui ferait de nous une famille soudée et plus forte. Je ne me faisais pas de soucis pour Christian.
Pleurer, car je savais aussi que tout le monde ne pense pas comme nous, et que sur son chemin il trouvera peut-être face à lui des personnes hostiles, qui seraient méchantes avec lui ou lui voudraient du mal, et personne ne souhaite cela pour son enfant… J’ai eu peur du regard des gens.
Mon mari a coupé la gynécologue avant qu’elle n’ait eu le temps de nous proposer l’IMG pour Christian. Nous avons tout de suite annoncé que nous désirions poursuivre la grossesse. Elle a continué en nous disant qu’il y avait un risque qu’ils soient vrais jumeaux (car deux poches/deux placentas de même sexe, 30% des cas de vrais jumeaux) et que Gabriel soit donc également porteur de trisomie 21. Nous pouvions savoir en réalisant une amniocentèse pour lui aussi.
Elle nous a donné le week-end pour réfléchir, et nous devions lui dire « quelles suites nous voulions donner à la grossesse » dans le cas où les deux bébés seraient trisomiques.
Nous avons un moment pensé faire l’amniocentèse pour Gabriel, pas dans le but d’interrompre la grossesse le cas échéant mais afin de pouvoir se préparer psychologiquement. Mais devant les risques de déclenchement que présentait l’amniocentèse nous avons préféré ne pas la faire et mettre toutes les chances de notre côté afin de retarder la naissance le plus possible.
Gabriel et Christian étaient dans deux poches amniotiques avec chacun son placenta, donc a priori un cas de faux jumeaux. Sauf que 30% des vrais jumeaux sont également dans deux poches avec deux placentas.
Nous avons toujours pensé, avec la trisomie de Christian, qu’ils étaient des faux jumeaux mais nous avons appris récemment à l’Institut Lejeune qu’il existait des cas très rares de vrais jumeaux avec un trisomique et l’autre non. Donc nous revenons au point où finalement on ne sait pas si ce sont de vrais ou faux jumeaux. Nous ferons les tests pour le savoir !
Sinon, Christian et son oncle Paul ont tous les deux des trisomies « libres et homogènes », comme 95% des cas de trisomie 21, qui sont dues au hasard !
Grâce à l’expérience vécue avec le frère de mon mari, nous savions que nous pourrions nous occuper de Christian comme de Gabriel, avec certes plus de rendez-vous et de suivi que la normale, mais nous nous sentions capables d’accomplir tout cela pour lui. Nous ne nions pas du tout le handicap, loin de là ! Mais au quotidien il n’est pas présent dans nos pensées, nous élevons Christian comme Gabriel.
La première semaine s’est passée à l’hôpital où ils sont nés, en service de néonatalogie. Ils étaient nourris par sonde gastrique avec mon lait que je tirais. Nous pouvions les voir 24h/24, faire du peau-à-peau grâce aux infirmières et puéricultrices qui nous aidaient avec tous les câbles de surveillance. Nous pouvions les baigner et réaliser leurs soins.
Au bout de deux jours, Christian n’avait toujours pas évacué son méconium et rapidement les pédiatres ont suspecté un syndrome occlusif.
A 5 jours de vie il a été transféré en urgence à l’hôpital Robert Debré, où il a subi toute une journée d’examens afin d’évaluer son état général et d’identifier le problème. Nous avons ainsi découvert sa maladie de Hirschsprung : fréquente chez les enfants trisomiques, c’est une absence de ganglions sur un segment de longueur variable de l’intestin. Donc ballonnements et douleurs abdominales du fait de ne pas réussir à évacuer ses selles et ses gaz.
Au bout de 10 jours nous avons réussi à obtenir le transfert de Gabriel à Debré pour rapprochement de jumeaux (avant ça on alternait entre les deux hôpitaux, on faisait les deux dans la journée). Ils ont testé tous les services de néonatalogie (réanimation, soins intensifs, pédiatrie) pendant plusieurs semaines.
A 5 semaines ils ont attrapé en même temps une bronchiolite. Christian a fait deux malaises dus à ses ballonnements et sa cardiopathie, il a dû être transfusé à chaque fois.
A 6 semaines il a eu une inflammation de l’intestin, donc mis à jeun sous antibiotiques pendant une semaine. Gabriel a pu sortir de l’hôpital à 8 semaines. Christian a été transféré en service d’Unité de Soins Continus en Chirurgie Viscérale, car il n’avait plus besoin d’être suivi en pédiatrie néonatale et c’était dans ce service qu’il allait se faire opérer prochainement de sa maladie de Hirschsprung.
Nous avons eu l’autorisation d’avoir Gabriel quelques heures par jour avec moi dans la chambre de Christian, et pour les nuits nous alternions avec Jean-Philippe (l’un à l’hôpital avec Christian et l’autre avec Gabriel à l’appartement).
Nous avons réussi à ne jamais laisser Christian sans l’un de nous deux avec lui. Fin juin il a eu une permission pour rentrer presque deux jours à l’appartement, puis il est sorti de l’hôpital le 28 juin, à 9 semaines.
Le 1er juillet il revenait à l’hôpital pour être opéré le lendemain de sa maladie de Hirschsprung. Il s’est très vite bien remis, mais il avait du mal à reprendre du poids. Finalement il a pu sortir le 8 juillet. Nous avons enfin pu profiter d’être tous les 4 chez nous, et nous sommes partis en vacances.
Puis le 2 septembre il entrait à Necker pour être opéré du cœur le lendemain. Là encore, il s’est très bien remis et il sortait le 10 septembre. Depuis c’est comme une deuxième naissance, il gagne enfin du poids correctement, il tète très bien comme Gabriel et vit parfaitement normalement !
Au quotidien nous donnons autant d’attention à l’un qu’à l’autre. Il faut dire qu’ils sont toujours ensemble ! Nous sommes peut-être plus derrière Christian quand il faut lui faire faire des petits exercices comme lui apprendre à se retourner, ou l’exercer à redresser la tête quand il est sur le ventre, etc. Ce que Gabriel apprend lui-même. Sinon ils dorment en même temps la nuit, nous les levons en même temps, ils mangent en même temps, profitent des temps calmes ensemble (la « sieste ») et Gabriel assiste à la plupart des rendez-vous de Christian. D’ailleurs il est toujours très sage et curieux pendant ces rendez-vous. Nous les élevons de la même façon.
Ma famille proche habite tout près de chez nous, donc si j’ai besoin d’aide je peux en demander. Je peux aussi bénéficier d’aide à domicile du fait de la gémellité, mais étant donné les premières semaines des petits, nous n’avions jamais fait les démarches. Et maintenant que le rythme est pris, on fait sans !
Depuis leur naissance, nous avons remarqué qu’ils se touchent beaucoup quand ils sont très proches (pendant les peau-à-peau en néonatalogie, et maintenant pendant les tétées ou sur le tapis de jeu).
Sinon cela fait seulement quelques semaines que nous avons l’impression qu’ils interagissent vraiment. Depuis qu’ils « gazouillent » tous les deux on dirait qu’ils se racontent des histoires, souvent drôles puisque parfois ça les fait même rire ! Ils sourient quasiment tout le temps quand ils se rendent compte que l’autre est à côté.
Pour le moment, on ne peut pas dire qu’ils se rendent compte de leurs similitudes ou différences. Christian est en décalage de quelques semaines par rapport à Gabriel mais à ce stade-là ça ne les dérange pas encore. Ce sera sûrement autre chose quand Gabriel commencera à vouloir courir partout et que Christian ne pourra pas encore le suivre !
Ils auront chacun leur rythme d’apprentissage et de découverte, qu’on ne peut pas prévoir ! Ce qui est sûr c’est qu’à moyen terme, nous ferons tout pour leur proposer les mêmes expériences, tout en respectant leur rythme. Nous ne serons pas plus exigeants avec Gabriel, et nous soutiendrons Christian là où la société lui dit qu’il ne peut pas à cause de sa trisomie.
Avec l’expérience quotidienne de Paul nous savons que la vie de Christian peut être « normale ». Il aura SON parcours personnel, et devra trouver sa voie.
Avec ou sans handicap nous pensons que chaque enfant est différent et que le parcours professionnel, extra-pro, et personnel est différent pour chaque personne.
Nous avons un objectif pour Christian et Gabriel : tout mettre en oeuvre afin qu’ils soient heureux. Grâce à l’expérience de Paul, leur oncle, nous savons que malgré les obstacles créés par la peur de la société vis à vis du handicap, une personne qui sort de la « normalité » peut être heureuse, et c’est le cap à garder.
Nous avons décidé de partager notre vie familiale pour montrer qu’il est possible de vivre ET d’être heureux avec un enfant porteur de trisomie 21. Ce n’est en rien pour nous « rassurer », lire que nos enfants sont magnifiques ou encore que nous sommes des êtres avec un courage surhumain. Avant d’apprendre la trisomie de Christian c’était hors de question de mettre nos enfants sur les réseaux sociaux.
Mais quand nous avons appris la nouvelle, nous nous sommes dit que c’était un devoir pour nous de partager sur ce handicap, de le faire connaître au quotidien, de partager nos expériences. Par exemple, mon mari a été particulièrement affecté par la proposition d’IMG qui nous a été faite, nous ne savions pas que c’était possible à ce stade là et surtout de cette façon là.
Nous avons des échanges avec des parents qui s’interrogent sur le handicap, sur l’avenir de leur enfant, une opération à venir… cela nous permet de les rassurer ou simplement leur dire : « c’est possible, et vous en avez la force ».
Aussi, l’IMG suite à la découverte d’une trisomie 21 est devenu une sujet qui nous touche particulièrement et personnellement. Nous souhaitons pouvoir aider des couples à prendre des décisions éclairées, en toute connaissance de causes. Une grande majorité de ces interruptions de grossesse ont lieu parce que les parents ont peur du handicap ou ne se sentent pas capables d’élever ces enfants, ou encore le connaissent très mal.
Nous souhaitons montrer tout d’abord qu’un enfant trisomique peut évoluer normalement, certes avec un décalage, mais si on lui en donne les moyens, il sera capable de beaucoup.
Suite à l’annonce du diagnostic de Christian, une jeune maman d’un bébé trisomique m’a dit « les seules barrières que rencontrera ton enfant seront celles que la société lui imposera ». C’est cela également que nous désirons changer, nous souhaitons que notre enfant puisse évoluer dans une société bienveillante.
Nous ne sommes absolument pas là pour dire aux gens quoi faire. S’ils doivent interrompre une grossesse ou non, et encore moins pour juger et critiquer. Mais nous savons également qu’une interruption de grossesse est rarement sans conséquences et nous voulons rassurer sur ce handicap (qui de plus n’est pas toujours accompagné d’autres pathologies).
De nombreuses questions se sont posées lors de l’annonce. Pourquoi « encore » ? Quelle est la cause ?
Mon mari s’est rapidement rappelé toutes ces familles qu’il a croisées et qui avaient vécu la même chose que ses parents et désormais que nous. Nous croyons que c’est un beau projet que nous devons poursuivre pour aider les parents et familles qui ont « peur » d’un handicap, qui apporte plus de bonheur qu’il ne cause de problèmes, si on le veut vraiment.
Nous souhaitons créer une famille unie et aimante, élever nos enfants dans la tolérance et le respect de l’autre. Nous espérons que leur différence fera leur force !
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