Accepter que son conjoint est violent et qu’on est victime de violences conjugales peut prendre du temps. Il s’agit quelquefois d’un cheminement long de plusieurs années, si ce n’est davantage. La volonté de sauver son couple, l’espoir du changement, l’ambition d’y croire encore, le refus d’imaginer une séparation sont autant de critères pouvant faire hésiter à partir. L’espérance. Cette vertu, si belle soit-elle, doit malheureusement dans certains cas être remise en perspective devant la violence d’un quotidien insoutenable, traumatique, pour la victime et ses enfants si il y en a.
Une fois le statut de victime de violences conjugales accepté et la volonté de partir, comment agir ? Le gouffre semble immense. Maman Vogue a interrogé un groupe de femmes concernées qui ont acceptées de transmettre un peu de leur expérience et de leurs précieux conseils.
Quand la situation se détériore, quand les mauvais moments prennent le pas sur les meilleurs, quand la peur prend le dessus, quand il s’agit de marcher sur des œufs dans sa propre maison, quand la crainte de la colère de l’autre revient inlassablement, quand l’heure de rentrer à la maison est redoutée, quand le corps et le cœur saignent… Tous ces signaux sont des alertes qui amènent dans certains cas à prendre la décision de partir. Que le mariage revête une signification très importante voire sacré à nos yeux, que l’être aimé ait été chéri pendant de longues années, que les enfants aient besoin d’un père : ces arguments ne peuvent et ne doivent pas être prioritaires devant une situation urgente de détresse, parfois vitale. Une femme réveillée quinze fois chaque nuit par un mari violent, une femme soumise aux moindres envies de ce dernier, une femme qui souffre dans tout son corps de coups portés, une femme qui s’endort chaque soir en pleurant, cette femme-là ne peut pas, ou ne devrait pas, avoir à rester unie à un homme dans de telles conditions.
Suzanne Conti, auteur du Manipul’Amour, insiste sur l’importance d’anticiper son départ du foyer conjugal, même quand le départ n’est pas encore envisagé comme possible.
Administrativement, il s’agit de préparer un dossier avec un tableau Excel récapitulant les dépenses et recettes du ménage, les preuves de violence telles que les mains courantes, plaintes, attestations médicales, mails, photos…, une copie des documents officiels, une estimation argus du véhicule commun et des biens immobiliers, un inventaire du mobilier avec estimation globale. Ces documents sont à stocker sur un cloud ou une clé usb à placer en lieu sûr.
Une grande discrétion avant le jour du départ évite d’éveiller les soupçons et ainsi d’exacerber la violence chez le conjoint. Il peut être bon pour la victime d’écrire dans un carnet tout ce qu’elle vit au quotidien, afin de ne pas oublier ce qui se passe, ne rien minimiser et ne pas se laisse amadouer par un conjoint soi-disant repentant. D’un point de vue pratique, la création d’une boîte mail, d’une ligne téléphonique ou d’un compte Facebook inconnu du conjoint peut permettre des échanges en toute sécurité avec des proches ou des associations mises au courant de la situation.
Vers qui se tourner pour obtenir de l’aide ? Si des amis très intimes peuvent aider moralement à vivre cette étape difficile, il s’agit de veiller à ne pas parler trop vite à trop de monde. En effet, de nombreuses victimes en témoignent : le déni des proches peut être une violence supplémentaire, d’une souffrance inouïe. Choisir un ou deux amis intimes à qui se confier peut se révéler être très précieux, rien que pour avoir un endroit où se réfugier si la fuite du domicile devient inévitable. Les mieux placés pour dire les bons mots et donner les meilleurs conseils resteront, à ce stade, les associations de défense de droits des femmes telles que Solidarité Femme, France victime, VICTA Association, Adavip, les avocats et les assistantes sociales en cas de difficulté financière. Avant même d’envisager un départ il est possible d’appeler ces personnes ressources pour leur demander des conseils concrets et mettre des mots sur ce qui se passe au quotidien. Il existe également des groupes de soutien sur les réseaux sociaux qui aident à se sentir moins seuls devant des situations d’une souffrance indescriptible à qui ne l’a pas vécu soi-même.
La distinction entre un conjoint colérique et un conjoint violent peut être ténue et difficile à faire pour les proches. La personne violente peut être très avenante avec le reste de son entourage et parfaitement masquer ses démons intérieurs ressortant dans l’intimité du foyer familial. Un mari souriant en apparence et câlin avec ses enfants peut terroriser sa femme au point qu’elle se cache dans la chambre des enfants la nuit. Au point qu’elle cache les objets fragiles ou dangereux pour ne pas les recevoir à la figure. Qu’elle vive dans la peur, du lever au coucher.
Des lectures ou des films sur le sujet, tels que La belle famille, de Laure de Rivières, Les violences sournoises dans le couple, d’Isabelle Levert, le Manipul’Amour de Suzanne Conti, et à destination des enfants au cœur des violences familiales : Le parapluie de Petite Plume, de Suzanne Conti. Le numéro national de référence d’écoute et d’orientation, en France, est le 3919. A garder précieusement dans son répertoire téléphonique.
« La résilience, c’est fleurir dans une terre aride ou après un hiver long et rigoureux. (…) Un être résilient, c’est quelqu’un qui ne s’est pas laissé abattre par les épreuves, mais qui est devenu plus fort grâce à elles. (…) C’est l’oiseau à l’aile amochée qui réapprend à voler. » (La Résilience, Boris Cyrulnik)
Si la résilience est promise, le chemin est difficile et le départ du foyer ne riment pas immédiatement avec une page blanche et une vie plus facile. Le parcours est long, administrativement mais également psychologiquement. Un suivi psychologique ou thérapeutique est fortement recommandé et la délivrance de la parole aussi. Poser des mots sur un traumatisme pour le faire partir plus loin et tourner une nouvelle page, lumineuse de préférence, bien entourée surtout. Les mois, voire les années, suivant un départ peuvent s’avérer plus compliquées qu’imaginé. Cette période de transition si elle est douloureuse ne doit pas inciter à revenir dans une relation destructrice si ce n’est pire.
La renaissance finit par venir. Comme l’exprime une ancienne victime : « Eux, resteront peut-être ce qu’ils sont. Mais nous, bien accompagnées, nous pouvons avancer. » et une autre de conclure, en parlant de sa propre renaissance après son départ : « Je sens mes propres envies revenir. J’entends rire les enfants à nouveau. Je reçois mes proches à la maison quand je le souhaite. Ma boule à la poitrine qui me tenaillait, cette boule a disparu. Je respire, enfin. Je suis sortie de prison le 18 février 2022, encadrée par un agent de police et des sanglots libérateurs sans fin. »
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