Bébé va arriver… dans quelques mois, quelques semaines… ou il vient de naître… Les parents sont émus. Maman est impatiente, curieuse, angoissée… elle l’aime déjà au plus profond d’elle-même ce petit être qui grandit en elle… Papa, lui, est plus réservé : c’est normal, il a un train de retard dans l’annonce (de quelques jours à quelques semaines !) et il ne vit pas la grossesse de la même façon. Moins d’émotions, sans doute, plus de recul… Plus d’angoisses aussi parfois : il pense à l’organisation… Mais en général, une fois le bébé dans les bras, il oublie tout et en tombe amoureux.
Et la foudre tombe, sans s’annoncer, dans un ciel plutôt serein. Leur bébé est malade ou handicapé. Qu’il traîne cette souffrance toute sa vie ou que cela abrège ses jours, l’annonce est atroce et vient détruire en un instant tous les rêves des parents. Comme pour le deuil, s’ensuit alors un parcours, plus ou moins long, de quelques semaines à une dizaine d’années, pour aller du premier choc au dépassement en passant par l’acceptation…
Beaucoup de couples ne s’en relèveront pas. C’est un tsunami qu’ils vont vivre. Et la résistance au choc va dépendre de plusieurs facteurs : la personnalité de chacun, les bases sur lesquelles le couple s’est construit, leur vision du handicap et de la dignité humaine, leur capacité à se laisser bousculer par la vie et à s’y adapter pour en recueillir le meilleur, quel qu’il soit…
Une fois passée la première incrédulité, Maman, souvent, pleure, crie, se désespère, mais communique, à sa famille, à ses amies… Elle cherche des solutions… Papa, lui, s’isole dans sa caverne, immensément triste. Maman a besoin de réconfort. Papa s’éloigne, ajoutant à sa détresse.
Le premier réflexe est le refus, l’incompréhension, le déni… Pas question d’en parler, encore moins de rencontrer les gens qu’on a jusqu’à présent admiré pour leur courage sans jamais souhaiter la même vie qu’eux. Puis tu t’y fais, mais tu considères bébé à travers le prisme de son handicap. Il faudra du temps pour arriver à voir dans ce petit être, non pas une croix à porter, ni une source de soucis et de questionnements constants, ni un bonheur dont il faut faire le deuil, mais un bonheur différent pour qui sait regarder.
Maman est vite dans l’action. Elle a déjà créé un lien plus profond qu’elle n’imaginait. Elle n’a eu quelques heures pour dire adieu à sa vie d’avant et à ses rêves en rose, mais elle va tout de suite se battre, s’occuper des rendez-vous, tenir la main de son petit pour l’accompagner. Cela va la sauver, sans doute.
Papa, lui, n’a pas encore eu l’occasion de tomber amoureux de son bébé. C’est le handicap qui se présente à lui en premier, avec tout son cortège de difficultés prévisibles… Il doit faire le deuil de l’enfant idéal sans l’avoir encore serré dans ses bras… Parce que nous sommes à la fois corps, cœur et intelligence, la dimension physique a son importance et rend plus difficile, sans un effort de volonté, l’acceptation d’un petit être abîmé par la vie. Certains papas se sentent fragilisés, impuissants face à un tel choc. Si le bébé n’est pas né, ils seront plus nombreux à pousser la maman à l’avortement, ou à l’abandonner, seule avec son enfant.
Ce qui est frappant, c’est que l’annonce d’une maladie ou d’un handicap oblige en quelque sorte les parents à se projeter tout de suite très loin dans la vie, à anticiper des problèmes qu’ils n’auraient jamais imaginé sans cela, à faire le deuil anticipé de leurs rêves. « Ma petite fille ne sera jamais la plus jolie du square », a pensé ce papa. Ou encore : « je ne remonterai jamais l’allée de l’église avec elle à mon bras »… Il ne savait pas, alors, que sa petite fille deviendrait pourtant la plus jolie et qu’il serait fier comme Artaban !
Quand les mamans ont leur groupes de soutien ou rencontrent les professionnels de santé qui vont leur apporter au jour le jour la force dont elles ont besoin, les papas se retrouvent souvent seuls… sans personne à qui parler (parce que souvent ce sont des taiseux ou qu’ils n’osent avouer leur mal être), face à un bébé qu’ils ne connaissent pas encore mais qui leur fait peur.
Chers papas, apprenez à le connaître, lui en tant que personne. Oubliez son handicap. Faites le choix de l’aimer. Il vous le rendra au centuple, même si vous ne le savez pas encore.
Le chevalier des temps modernes n’a pas d’arme pour traquer les bandits, mais un cœur et du courage pour aimer et protéger les plus faibles, ce petit et sa mère, au péril de son confort. Son champ de bataille, c’est la vie de tous les jours. Et ce qu’il ne sait pas encore c’est que cette épreuve, s’il l’accepte, sera un formidable accélérateur de vie. Que sa vie sera différente, certes, mais intense et belle. Il faut juste qu’il accepte de se laisser chambouler par la Vie, qu’il abandonne ses rêves pour découvrir une réalité d’une beauté insoupçonnée.