Parfois, la famille est éprouvée par la maladie chronique d’un ou de plusieurs enfants qui passent leur temps à l’hôpital. Maman Vogue a recueilli pour vous le témoignage de Grégoire et de Louise. Mariés depuis 6 ans, et parents de Madeleine (5,5 ans), d’Espérance (4 ans) et de Théophane (16 mois).
Maman Vogue: Bonjour et merci d’avoir accepté de témoigner. De quoi souffrent vos enfants ? Sont-ils tous touchés ?
Louise: Nos trois enfants souffrent d’une forme d’asthme sévère. Madeleine a développé une forme sévère. Espérance et Théophane sont en ALD (affection longue durée) et ont un traitement très fort, avec des nébulisations(1) quotidiennes. Quant à Théophane, il entre encore dans la case asthme du nourrisson parce que sa pathologie peut être amenée à régresser. Mais au vu du contexte familial, cela parait peu probable. Espérance souffre aussi d’autre chose qui est en cours d’exploration et qui ne lui laisse guère de répit.
Maman Vogue: Souffrez-vous, parents, de la même chose ou avez-vous découvert cette pathologie en même temps que vos enfants ?
Grégoire: Nous n’avons pas de pathologie. L’asthme était encore un concept assez abstrait pour nous avant que cela soit diagnostiqué pour nos enfants.
Maman Vogue: Comment l’avez-vous découvert ?
Louise: Nous avons eu un parcours un peu atypique. Madeleine a été mise sous oxygène aux urgences à 1 mois, mais sans avoir de bronchiolite ou de maladie. Nous trouvions qu’elle respirait bizarrement. Nous sommes sortis quelques jours plus tard, mais sans réponses à nos questions. Elle était constamment enrhumée. Elle avait également un retard de développement moteur. Et elle avait les bras en arrière. De ce fait, elle a dû commencer les séances de kiné (nous avons appris plus tard que tout était lié).
Espérance est arrivée et, à son tour, a enchaîné les rhumes et les bronchiolites. Elle était constamment sous Célestène et avait également les bras positionnés en arrière. Elle a commencé les séances de kiné à 3 ou 4 mois. A cette époque, nous étions suivis par un généraliste qui n’était pas très branché asthme.
A l’âge de 2 ans, Madeleine a fait une importante pneumopathie qui l’a hospitalisée. Au même moment, Espérance faisait une énième bronchiolite qui la menait aux urgences (heureusement, sortie le jour même). Quelques semaines plus tard, notre Espérance faisait une chute dans les escaliers. C’est à cette occasion qu’on nous a parlé d’asthme pour la première fois.
En avril 2020, nous avons commencé pour elle un suivi avec un pédiatre qui nous a envoyé voir un pneumo-pédiatre. En effet, son état nécessitait de la Ventoline au moins une fois par mois et elle avait eu besoin d’oxygène auparavant.
Notre petit Théophane est né en septembre 2021. Il a été hospitalisé à domicile de novembre à mai, et a enchaîné les périodes sous oxygène. Nous n’arrivions jamais à sortir de HAD(2) car il retrouvait ses lunettes d’oxygène(3) dès qu’il arrivait à s’en débarrasser. Quand il a eu 3 mois, le pédiatre nous a dit qu’il faisait de l’asthme en plus de ses bronchiolites et a mis en place la nébulisation.
C’est pour lui que nous avons appris que les bras positionnés en arrière, le léger retard de développement moteur, le retard de développement bucco-dentaire, etc. étaient courants chez les enfants ayant des pathologies respiratoires chroniques importantes. Il a donc commencé les séances chez la kiné et il a maintenant complètement rattrapé son retard. Durant le même hiver, notre Espérance est entrée en HAD de décembre à avril avec de l’oxygénothérapie. Madeleine a également fait 1 mois de HAD. Nous avons eu jusqu’à trois enfants en même temps sous oxygène. Quasiment douze nébulisations à faire par jour, je ne sais combien de pneumopathies, et des allers-retours au CHU. Les saturomètres, ces appareils destinés à mesuré le degré d’oxygène dans le sang, ont bipé pendant très longtemps chez nous.
Maman Vogue: Quelles conséquences pour eux, pour vous ?
Grégoire: La principale conséquence pour eux est qu’ils n’ont pas une vie comme les autres enfants. Ils ne supportent pas grand-chose, ils craignent le vent, le brouillard, les virus, la chaleur, l’humidité. Il suffit qu’il pleuve deux jours d’affilée et ils commencent à avoir une gêne respiratoire. Le plus souvent on en reste là. Ils maîtrisent parfaitement les termes “saturation”, “lunettes d’oxygène”, etc. Un jour, je raconte à mes filles que notre petit voisin est aux urgences pour un problème et ma 5 ans répond : « Oh ! je vais lui faire un dessin. Moi, c’est pas pareil, j’ai l’habitude, mais pas lui !”.
Louise: Pour nous, parents, la conséquence de cette pathologie est que nous avons une vie “extra ordinaire”. Nous devons constamment observer nos enfants, réagir vite, voir le pédiatre et/ou aller aux urgences. Pas de pause mentale autorisée (sauf quand on prend la poudre d’escampette). Même les vacances sont ponctuées de petits passages aux urgences des régions que nous visitons ! Nous pourrons bientôt établir une carte des meilleurs hôpitaux de France. Pour l’instant, en tête, l’hôpital de Châlon-sur-Saône qui donne des repas consistants aux accompagnateurs pendant les hospitalisations !
Grégoire: Mais, en réalité, nos enfants sont des battants. Récemment, nous nous sommes aperçu que notre petit dernier (16 mois), est capable d’attendre d’être pris en charge et sous oxygène pour se dégrader. Il peut tout à fait cacher à la crèche pendant une journée un mauvais état respiratoire. Nous avons réalisé que nos filles ne se sentent pas impactées mentalement par leur asthme, elles le vivent très bien. Lors du dernier passage de notre grande (qui avait déjà 5 ans) aux urgences, elle a continué de jouer aux cartes comme si de rien n’était. Sa saturation en oxygène ne remontait pourtant pas et elle enchaînait les aérosols.
Maman Vogue: Quel est le plus difficile pour chacun de vous ?
Louise: Pendant longtemps, nous avions honte de nous plaindre. En réalité, chaque fois que nous évoquions l’asthme de nos enfants, tout le monde avait un enfant asthmatique. Et quand bien même nous avions le sentiment que pour nous c’était bien plus compliqué, nous pensions que c’était juste nous qui le gérions mal. Finalement nous en venions à penser que nos enfants n’avaient rien de grave. Nous avons entendu “Oh c’est quand même moins grave que le cancer” (non ? sans blague !) “Tu verras ça passe en grandissant” ! (Super, on en a encore pour au minimum 10 ans). “Peut être que tu ne sais pas trop gérer l’asthme ? Tu sais, moi aussi j’ai un enfant qui en fait, je mets de la Ventoline et ça va mieux ! » (Je me retiens de pleurer, non trop tard les larmes arrivent).
Nous nous sommes donc un peu enfermés dans le sentiment d’être vraiment nuls durant quelques temps. Puis on nous a expliqué qu’il y a deux pathologies vraiment différentes : l’asthme modéré (1 enfant sur 2 dans notre région) et l’asthme sévère (2% des asthmatiques). Cette version est une pathologie chronique, nous avons vraiment repris confiance dans nos capacités de parents. En fait, nous gérons très bien !!
Pour moi, en tant que maman, les longs mois de HAD ont été extrêmement éprouvants. C’est à nous de surveiller les constantes, de faire les aérosols de Ventoline, d’installer les lunettes d’oxygène, de remplir le classeur de surveillance, d’être disponible à 100% pour le passage des différents soignants, d’alerter les infirmières quand un incident survient, de gérer les stocks de médicaments (les traitements changeaient toutes les 10 secondes pour chacun des enfants qui, évidemment, n’avaient ni les mêmes médicaments ni les mêmes dosages, sinon ça ne serait pas drôle), etc. De ce fait, je n’avais plus aucune vie extérieure et plus de nuits complètes (même si mon mari est superman et qu’il gère bien plus les nuits que moi).
De novembre à avril, je suis rarement sortie de ma maison. Je prenais peu de douches et me suis complètement oubliée. Je voulais absolument qu’on guérisse mes enfants car je n’en pouvais plus de cette surveillance constante.
En juillet dernier, mon pneumo-pédiatre m’a expliqué que mes enfants avaient la forme sévère d’une maladie chronique. Je devais accepter ma vie telle qu’elle était. Et cette phrase m’a changé la vie, j’ai accepté de m’abandonner.
Louise: Aujourd’hui, j’accepte (avec des hauts et des bas évidemment) de ne pas avoir le temps de reprendre le travail, de devoir surveiller leur respiration constamment, de partir en vacances avec les machines des enfants… J’ai pris un petit rythme, adapté à leurs besoins. Je prends du temps pour moi dès que mes enfants vont bien.
Le plus difficile, je dois l’avouer, est le côté chronique de la maladie. Et que les trois enfants soient touchés par sa forme sévère. Je me souviens avoir fait trois passages d’affilée au CHU (un par enfant, histoire qu’il n’y ait pas de jaloux) lors de la grippe l’année dernière ! L’infirmière des urgences m’a dit : « Mais vous en avez combien comme ça ? » !
Grégoire: Pour moi, en tant que papa, les premiers mois ont été physiquement éprouvants ! Il fallait mener de front le travail et la maison le jour avec les nuits constamment entrecoupées par les “bips” des saturomètres. Cependant, le plus difficile à vivre a été le fait que nous n’avions aucune visibilité sur la fin des hospitalisations et de la maladie. En effet, nous pensions tous les jours que ça se finirait bientôt. Alors que nous y sommes encore, un an après !
« Vous êtes le genre de parents à qui on devrait donner une médaille ! »
Maman Vogue: Comment vivez-vous le regard des autres ? ou l’absence de regard…
Louise: Le regard des autres, c’est la question épineuse pour tout parent, je crois ! En fait, on a deux types de regards et les deux ne sont pas forcément idéaux. Certains nous voient comme des parents héroïques et extraordinaires alors que nous sommes tout sauf cela. Nous avons des doutes, des peurs, des moments de colère.
Lors d’une hospitalisation l’été dernier, le médecin en charge de notre fils m’a beaucoup questionnée sur sa santé. Il s’est surtout intéressé à la HAD. Je lui ai raconté brièvement ce que l’on avait vécu; les atouts et défauts d’une prise en charge à domicile pour les parents. Elle m’a alors dit “vous êtes le genre de parent à qui on devrait donner une médaille”. J’étais vraiment furieuse d’entendre cela. Non, je ne mérite pas du tout une médaille ! Je m’adapte juste à une vie que je dois vivre mais que je n’ai pas choisie…
D’autres personnes nous voient plus que sous le prisme des parents soignants que nous sommes. Et avec ce regard nous ne sommes plus des personnes à part entière.
Je suis tout de même reconnaissante pour ces regards car ils sont bienveillants. Pour ma part, je ne prête plus du tout attention aux regards que je sais jugeant ! Je change de trottoir !
Maman Vogue: Quels sont vos besoins ? Qu’est-ce qui vous a aidé et qui vous aide au quotidien ? Croyez-vous le bonheur possible ?
Louise: Ce qui nous a le plus aidé durant cette année si difficile est l’entraide incroyable des mamans de l’école ! Une maman (pour qui j’ai une reconnaissance éternelle) a organisé un doodle pour préparer nos repas, c’était magique ! J’ai aussi dans le cœur une amie de la PDM et voisine qui a ramené ma maman à la gare. Ces amis qui ont sonné à la maison pour que je puisse prendre une douche ! Ce sont eux qui nous préparent notre repas quand nous rentrons à nouveau en HAD ! Nous sommes tellement soutenus, je n’en reviens pas ! Nous savons que nous ne sommes pas seuls.
Grégoire: Quant au bonheur, c’est notre quotidien, c’est notre vie ! Les larmes, la peur, la toux, les traitements, les rendez-vous médicaux en font partie.
Maman Vogue: Pourquoi avoir accepté de témoigner ? Y a-t-il des témoignages qui vous ont aidés, des lectures ?
Louise: J’ai accepté de témoigner car il y a certainement d’autres parents qui se sentent seuls dans leur quotidien de parent soignant ! Nous, nous sommes vraiment sentis seuls. Mais surtout nous voudrions dire et redire toute notre admiration pour vous, parents d’enfants avec des maladies chroniques. Vous êtes courageux et vous êtes forts.
« Ne donnez surtout pas votre avis mais écoutez avec bienveillance ! »
Maman Vogue: Auriez-vous des conseils pour aider les couples dans une situation similaire ? Pour éclairer les gens de bonne volonté qui veulent aider mais qui ne savent pas toujours quoi faire ? Pour prévenir les maladresses ?
Louise: Le premier conseil que nous donnerions aux parents éprouvés par la maladie chronique de leur enfant est d’apprendre à accepter la vie telle qu’elle est. C’est facile a dire mais en réalité ça aide énormément à supporter les conditions difficiles des hospitalisations. Je m’équipe un maximum de tout ce qui me fait du bien (une couverture, un livre, des Haribo…) quand je me rend aux urgences. C’est un petit détail dit ainsi mais, en réalité, c’est le symbole du fait que l’on est prêt. J’ai le Seigneur pour béquille quand les nuits sont difficiles et j’accepte d’être aidée par nos amis. Je crois qu’il faut faire le deuil de la vie que l’on avait rêvée. On peut être fiers de dire “c’est MA vie, que Dieu a choisi par amour pour moi”.
Grégoire: Le deuxième conseil, mais pas des moindre, c’est d’apprendre à se relayer avec son conjoint et avec sa famille. On peut former son entourage à la pathologie particulière de l’enfant pour pouvoir s’échapper.
Louise: Pour gens de bonne volonté, notre conseil est le suivant : « Ne donnez surtout pas votre avis mais écoutez avec bienveillance« . C’est très difficile d’avoir quelqu’un qui vous dit que ce dont souffre votre enfant est même moins grave que telle ou telle maladie ! Ces parents n’ont aucun répit, ils sont fatigués et constamment inquiets. Cet été, lors d’une hospitalisation de notre petit gars, je disais à l’infirmière que c’était quand même moins grave qu’un cancer. Je l’avais tellement entendu! Elle m’a répondu : « Alors, partant de ce principe-là, il y aura toujours plus grave. Non, avoir trois enfants comme ça, c’est grave ! ».
Soyez à l’écoute, c’est vraiment la chose la plus importante. Vous pouvez aussi inviter les parents pour boire un café de temps en temps ! Proposez leur de faire avec eux une activité qui leur plairait ?
Maman Vogue: Comment le vivez-vous maintenant ?
Grégoire: Depuis que le pneumo-pédiatre a osé nous dire clairement que nos enfants étaient affectés par une maladie chronique dont la forme sévère durerait probablement une dizaine d’année, si ce n’est plus, et qu’une infirmière spécialisée est venue nous dispenser des cours à domicile au sujet de l’asthme, le fonctionnement des bronches, l’action des différents médicaments, et nous expliquer que chaque enfant a ses propres réactions face à cette maladie, nous respirons un peu mieux (!). La situation est plus claire ! Nous savons maintenant que cela sera notre vie (et la leur) pour les nombreuses prochaines années ! Il nous faut maintenant l’accepter et ne plus penser à la fin éventuelle. Notre responsabilité est d’accompagner nos enfants du mieux que l’on peut.
Louise: Mais dans toute cette histoire, il y a aussi énormément de positif. J’ai appris à accueillir chaque moment comme il est et à rendre grâce pour la vie. Cette maladie m’a aussi appris à m’ouvrir aux autres et à accepter les mains tendues. Finalement le Seigneur m’a totalement ouvert le cœur à travers l’épreuve. J’ai aussi la chance d’avoir des amies incroyables ! Je peux les appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit pour vider mes larmes…
(1) La nébulisation permet d’administrer un médicament directement dans les voies respiratoires.
(2) Hospitalisation à domicile
(3) Les lunettes à oxygène permettent d’inhaler l’oxygène par voie nasale.