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J’ai employé S après la naissance de mon deuxième enfant car l’assistante maternelle qui jusqu’alors gardait Camille, mon aînée, ne pouvait l’accueillir. Même si elle n’avait pas l’air aussi chaleureuse que je l’aurais souhaité, S m’avait fait bonne impression : elle semblait dynamique, observait un emploi du temps structuré et sortait régulièrement. Avec elle, mes enfants seraient entre de bonnes mains et de toute façon peu d’assistantes maternelles étaient disponibles.
Seulement voilà, chaque fois qu’elle était chez sa nouvelle nounou, Camille, qui allait avoir deux ans, pleurait.
Nous avons commencé par mettre cela sur le compte d’une difficulté que ma fille pouvait avoir à s’adapter : il lui fallait du temps, elle finirait par s’apaiser. De son côté, S faisait preuve de bonne volonté et n’hésitait pas à prendre conseil auprès de la PMI ou du Relais Assistante Maternelle. Je pouvais donc lui faire confiance, il n’y avait pas lieu de s’alarmer. Mais au bout de quelques semaines, les pleurs étaient toujours là et S devenait plus critique. Notre fille était tout simplement capricieuse, difficile, agissait en enfant roi parce que nous n’avions pas la bonne attitude avec elle : nous aurions dû être plus durs, lui faire clairement comprendre qu’elle n’était pas le centre du monde. J’étais moi-même tiraillée entre la souffrance de Camille que je voyais malheureuse et les doutes que S alimentait.
Après tout, c’était elle la professionnelle et je n’avais pas de réels reproches à lui faire. Je me suis alors imposé la nécessité imbécile de tenir le cap : si caprice il y avait, il ne fallait pas céder. D’ailleurs, comme le disait mon conjoint, cet épisode permettrait certainement à Camille de mieux s’adapter à l’école l’année suivante et, sur le plan de l’organisation, un nouveau changement aurait été compliqué à mettre en place.
Sans être dramatique, la situation restait pesante. Les pleurs n’étaient plus systématiques, Camille finissait, la plupart du temps, par accepter de jouer tranquillement. A la maison, il n’y avait pas de changement notoire : notre petite fille était toujours gaie et volubile, un peu d’eczéma sur les joues était peut-être le signe visible de son mal-être. Mais chacun de ses coups de blues était pour S l’occasion d’émettre des jugements, de relever les défauts et les manques dont Camille, d’après elle, était affligée. Je n’avais moi-même que ce sujet-là en tête tout en étant persuadée qu’il fallait un fait grave, concret, pour m’autoriser à retirer mon enfant.
Celui-ci s’est présenté sous la forme d’un écart de langage rapporté par Camille. J’avais enfin un argument pour aller dans le sens de mon ressenti. Cependant, la discussion que j’ai provoquée n’a pas débouché sur ce que j’espérais. Loin de reconnaître avoir commis une faute, S a su retourner la situation à son avantage : J’avais mal interprété une expression sortie de son contexte et cela montrait que je nourrissais des soupçons à son égard. De plaignante, je me retrouvais du côté des accusés.
L’entrée de Camille à l’école a été un véritable soulagement, le regard de la maîtresse étant en tout point opposé à ce que nous avions connu. Je pensais que, dorénavant, les relations avec S, qui gardait toujours Léa, notre deuxième fille, seraient plus simples. Mais cela n’a pas du tout été le cas. Les petites phrases, les récriminations et les reproches à mots couverts ont continué alors même qu’il n’y avait pas de problème avec notre bébé. C’était moi, qui, par peur d’éventuelles représailles, faisais profil bas, et encaissais sans broncher toutes ses agressions. Lorsque j’en parlais à mon conjoint, il me répondait que cela se passait bien avec Léa et que c’était quand même l’essentiel. Ce point de vue me semblait raisonnable. Et puis c’était avant qu’il aurait fallu arrêter les frais : une fois Camille partie, cela n’avait plus de sens. J’avais obligé mon enfant à supporter S, je n’allais pas moi-même m’en dispenser. Notre « collaboration » s’est donc poursuivie, bon an mal an, jusqu’à la scolarisation de la cadette qui, encore une fois, n’avait pas l’air de pâtir de la rigidité et du manque de chaleur humaine de sa nounou.
Ce n’est qu’au moment de mettre fin au contrat qu’un désaccord a éclaté. Simplement parce que je n’ai pas voulu laisser passer la toute dernière occasion qui m’était donnée de me défendre. J’ai alors sollicité l’aide du RAM (Relais Assistante Maternelle) pour enfin oser lui tenir tête. L’enjeu était avant tout symbolique : il s’agissait pour moi de ne plus subir et de lui montrer qu’elle ne pouvait pas tout se permettre. Cela ne s’est pas fait sans heurts, notre dernière entrevue, à l’issue de laquelle je me suis trouvée en état de choc, ayant pris l’allure d’un lynchage.
A l’issue de cette affaire, je me suis d’abord sentie incapable de tourner la page. La colère et la culpabilité étaient bien trop fortes. A nouveau je m’en voulais terriblement d’avoir laissé Camille dans les griffes de cette femme, alors que les faits remontaient déjà à deux ans. L’incompréhension dominait : comment avais-je pu ne pas réagir, comment avais-je pu me soumettre à ce point ? Il m’était nécessaire de faire quelque chose : écrire serait ma réponse, ma revanche. J’ai tenté de remonter le fil des événements avec la volonté de mettre en lumière tout ce qui avait fait la violence de cette relation. Une violence sourde, difficile à démêler dans le sens où rien de grave ne s’était produit. Et pourtant la blessure était là, bien réelle. C’est cette ambiguïté qu’il me fallait explorer.
Trois ans après, je pense avoir fait la paix avec cette histoire. Peut-être ai-je réussi à admettre que l’on n’est pas toujours en capacité de protéger ses enfants comme on le voudrait. Notamment quand les circonstances et l’histoire personnelle s’ingénient à tisser un réseau de résonances dont il est parfois difficile de se détacher. Cela ne signifie pas pour autant que l’on est un mauvais parent.
Vous trouverez mon témoignage ici
Violaine Ascarel
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