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Il te restera…la vie de ceux qui t'aiment. Si fort.

 
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Il ne te restera sans doute pas le souvenir précis de ce temps suspendu, de la vie qui s’arrête tout à coup, de la maladie qui court les rues.

Tu ne te rappelleras sans doute pas ces jours en dedans, les chants des oiseaux plus sonores encore dans ce silence inondé de soleil, des heures comme des dimanches, la tête ailleurs, tout le temps, les questions sans réponses, le coeur en bandoulière, tes pourquoi?, ton envie d’aller faire du toboggan, ta panique dans ton regard à m’entendre te répondre non. Les coups de fil nombreux et fébriles, le soleil dessiné à la craie dans la cour, fais-lui des yeux maman pour qu’il sourit. La fatigue d’être en colère, la colère d’être fatiguée et les boîtes de conserve et les paquets de pâte qui se cherchent une place sur l’étagère. Le printemps qui s’en moque, qui enfonce les portes fermées pour laisser entrer ses couleurs.

Tu ne te rappelleras sans doute pas le quotidien qui se resserre, qui bat plus vite alors qu’il ralentit, l’urgence à semer, l’urgence à s’aimer. La vie qui ne tient qu’à une main non serrée. Les réunions téléphoniques entre une partie de mémory et un verger en pâte à modeler. Les bon courage et les tout ira bien, les comment allez-vous et les restez chez vous, le cœur qui rate un battement quand on ne décroche pas assez vite à l’autre bout du fil. La maison refuge, la vie qui continue un peu moins vite mais un peu plus loin. Le compte à rebours avant les jours arc-en-ciel, les petits plaisirs qui remplacent pour un temps les grands projets, leur saveur retrouvée, la redécouverte des quatre murs qui protègent notre amour et notre santé.

Tu te ne rappelleras pas du printemps qui fait la cour à la maison comme à une vieille dame, sans céder à l’impatience ni à l’impertinence, dans l’attente sage de son premier vrai rendez vous. Tes angoisses dans les nôtres, nos sourires un peu forcés, nos loin des yeux près du cœur pour te rassurer de savoir les tiens confinés. La créativité loin d’être étouffée qui déborde, l’évidence à réinventer aujourd’hui pour faire les jours d’après, les rues vides derrière le mur. La promiscuité qui fracasse nos face à face et fait durer nos cœur à cœur. Les gestes barrière, les regards en coin, les mots qui s’interposent pour interdire ou réconforter.

Le vertige quand je pense au moment où je te raconterai un jour comment on a réussi à s’en sortir sans sortir, comment, au début de ton troisième printemps, il m’a fallu signer un bout de papier pour pouvoir te laisser pousser la porte d’entrée.

Il te restera seulement le souvenir flou de nous deux plus toi, vous deux plus moi comme seule équation possible de la journée. Notre vie comme elle a commencé pour toi: toi qui grandis pour nous tous seuls, au creux de notre espoir, au chaud de nos bras, au silence de notre coeur. Il te restera le souvenir d’une porte qui se ferme sur le soleil timide de ce début de printemps, pour en faire briller un, plus lumineux, plus précieux encore: la vie de ceux qui t’aiment. Si fort.

Audrey
@les_mots_dans_le_plat

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