Dans quelques jours, mon dernier enfant va faire sa toute première rentrée à l’école. Et j’avoue, je ne suis pas prête. Mon coeur se serre déjà en l’imaginant entrer dans sa classe, avec son petit cartable sur le dos. Et quand le portail de l’école se sera fermé, je vais me retrouver, chez moi, sans enfant à la maison. Depuis la naissance de mon aîné, j’ai toujours eu un petit avec moi. Me voici maintenant, quelques années plus tard, des années qui sont passées à toute vitesse, entrant dans une nouvelle étape de ma vie de maman.
J’en ai vécu des rentrées depuis la première de mon aîné. Préparer les cartables, étiqueter les affaires, prendre une photo du premier jour de classe, je suis rodée. Mais cette année, c’est différent. Ce sera la dernière « première fois ».
J’ai beau lui en avoir parlé depuis plusieurs mois, choisi son cartable avec lui, le rassurer en lui expliquant qu’il va apprendre pleins de choses, que sa maîtresse sera gentille, et qu’il va enfin pouvoir faire comme les grands, je me sens un peu déboussolée. Car, pour nous, mamans, l’école est un endroit où l’on apprend petit à petit à lâcher son enfant, et à le regarder évoluer en dehors de nous. L’exemple le plus marquant est celui du résumé de la journée. Quand nos enfants sont encore à la crèche ou chez une nounou, on a toujours droit à un résumé complet et détaillé de la journée de notre enfant. On sait ce qui s’est bien passé ou non, ce qu’il a mangé, combien de temps il a dormi… Mais une fois à l’école, les maîtresses nous disent à peine trois mots sur la journée. C’est comme si l’on devenait un peu extérieure à son quotidien. Et lorsqu’il s’agit de notre petit dernier, c’est plus difficile.
Oui, car le petit dernier, c’est celui qu’on chérit un peu plus, celui à qui on s’accroche un peu plus, car il n’y a plus personne derrière. Même s’il a grandit, notre petit dernier reste toujours notre bébé. C’est celui avec qui on a vécu les « dernières fois » : la dernière grossesse, le dernier allaitement, les derniers premiers pas… Cela semble peut-être absurde, mais une dernière fois compte autant qu’une première fois non ?
J’ai l’impression de commencer une nouvelle phase de ma maternité. Plus de couches, plus de crèches ou de nounous, plus de biberons. C’est la suite logique, bien sûr, mais je sens que quelque chose change en moi.
J’ai longtemps été une maman de tout-petits. Celles qu’on reconnaît facilement au parc, avec des lingettes dans chaque poche, un doudou dans le sac et un enfant sur les genoux. Une maman toujours en alerte : tétées, siestes, poussées dentaires, colères du soir. Une maman qui fait bloc, qui porte tout, qui est toujours là. Et puis, lentement, cette époque s’est mise à s’éloigner. Mes aînés ont grandi sans que je m’en rende vraiment compte. Et aujourd’hui, c’est ce dernier qui s’apprête à franchir la porte de l’école. Le dernier à quitter le nid en journée. Celui qui était encore, il y a peu, mon excuse pour ralentir, rester à la maison, dire non aux invitations trop matinales ou aux réunions trop longues.
Je croyais que ça me ferait du bien, que j’allais enfin « souffler ». C’est ce que tout le monde me disait, non ? « Tu vas voir, ça va te libérer ! » Mais ce vide soudain, ce silence neuf dans la maison, il m’interroge plus qu’il ne me repose.
Je réalise que je rentre dans une autre catégorie de mamans. Celles qu’on ne repère plus à la crèche, ni dans les allées du parc en matinée. Celles qui peuvent faire leurs courses seules. Celles qu’on ne plaint plus, parce qu’elles sont censées « avoir retrouvé du temps ». Comme si on reprenait une vie d’avant, alors qu’en réalité, on entre dans une vie qu’on ne connaît pas encore.
Je n’ai plus maintenant qu’à l’accompagner vers sa classe, vers cette nouvelle étape de sa vie. Il y en aura encore pleins d’autres, bien sûr, et je serais toujours là pour lui. Mais en le laissant à sa maîtresse, j’ai comme l’impression que c’est lui qui m’accompagne, timidement bien sûr, mais confiant, vers une autre étape de notre famille.
Aujourd’hui, la maison paraît plus vide, les journées ont changé de rythme. Mais après le pincement, une autre émotion prend place : une curiosité presque excitante. J’ai passé des années avec des tout-petits autour de moi, à vivre au rythme de leurs besoins immédiats. Aujourd’hui, j’ai de nouveau des plages de temps à remplir, autrement.
Et si je m’autorisais à reprendre ce que j’avais mis entre parenthèses ? Un projet laissé de côté, des rendez-vous avec moi-même, des idées qui attendaient leur heure. Parce que je reste leur maman, mais je suis aussi cette femme qui peut avancer, évoluer et rêver à nouveau.
Bien sûr, cette rentrée, ce n’est qu’une étape. D’autres viendront, pour lui comme pour ses frères et sœurs . J’ai encore tant de portes à franchir à leurs côtés, tant de matins à les encourager et de soirs à les rassurer. La page des tout-petits se tourne, certes, mais le livre est loin d’être fini : la maternité, je le sais maintenant, n’est qu’une suite d’étapes, chacune avec son lot d’émotions, de fiertés et de vertiges.