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Témoignage de Fanny, 33 ans, mariée depuis bientôt 6 ans, maman de 3 filles : Colombe, 4 ans, Agathe et Castille, jumelles de 18 mois.
L’année dernière, j’ai vécu ce que l’on appelle un burn-out parental. J’en connaissais vaguement la définition et pourtant, je pensais vraiment y échapper ! Je souris en relisant le témoignage en tant que maman de jumeaux que je vous avais partagé juste avant de vivre cela, en février 2020 : j’étais comblée bien que fatiguée, pour moi le quotidien n’allait devenir que plus facile le temps aidant… En réalité, il s’est passé l’inverse.
Pendant ma grossesse, on m’avait alertée sur le risque de burn-out qui guette particulièrement les familles de multiples et j’avais entendu que l’aide extérieure était indispensable. Je pensais donc avoir anticipé et mis tous les moyens en place pour éviter cela. Mais l’accumulation des facteurs extérieurs et intérieurs m’y ont conduit malgré moi.
Après un accouchement que j’ai bien vécu malgré une césarienne en urgence et une grosse frayeur pour l’une de nos jumelles, les filles ont dû être hospitalisées à 2 mois pour bronchiolite puis faire de la kiné respiratoire quotidienne pendant les 2 mois suivants. Les filles ont commencé à faire quelques nuits complètes à 4 mois, mais ça n’a pas duré, elles pouvaient ensuite nous réveiller jusqu’à 10 fois par nuit en alternance (ne se réveillant pas l’une l’autre) pour diverses raisons connues ou non. Lorsqu’elles ont eu 5-6 mois, j’ai commencé la diversification, et dans le même temps, j’ai voulu commencer leur sevrage car je les allaitais exclusivement, mais elles ont mis du temps à accepter le biberon d’une part, et le lait artificiel d’autre part. En parallèle, nous achetions une maison avec des travaux à prévoir.
A ce stade, j’avais déjà accumulé pas mal de fatigue, mais j’arrivais encore à gérer, même si je m’oubliais complètement sans en être réellement consciente. Au contraire, je me sentais “Wonder Mum”, confortée par le sentiment de force et de confiance en moi que m’apportait la naissance des jumelles. Comme le résume très justement un excellent article du magazine Jumeaux & Plus : “C’est un contexte d’abondance et d’exaltation et non de perte qui fait le lit du burn-out maternel : comme si les mamans de multiples étaient tout à coup trop exaucées dans leur vœu de maternité, comme si leurs représentations hyper-idéalisées de cette maternité avec deux bébés et plus devaient se briser sur le retour à la maison : trop d’enfants, trop de besoins à remplir, trop de gestes de maternage, trop vite, trop seule avec trop peu de sommeil réparateur”.
C’est dans ce contexte qu’est arrivé le premier confinement. Tout s’est arrêté : plus d’école pour l’aînée, plus d’aide pour garder les enfants ni d’aide ménagère, un mari temporairement en gestion de crise sanitaire d’un Ehpad, nos familles trop loin… Notre aînée, dont je découvrais la précocité et qui avait commencé à s’apaiser avec l’entrée à l’école, est redevenue à nouveau très violente et agressive avec ses sœurs et moi. Je ne pouvais pas répondre à son besoin accru d’attention, elle ne faisait plus la sieste donc moi non plus, et gérer les jumelles me sollicitait énormément physiquement (les porter toutes les 2, faire des gestes répétitifs, administrer des protocoles médicaux éprouvants…). J’ai brutalement pris conscience que j’atteignais mes limites. Je me sentais continuellement épuisée et débordée, à tout faire dans l’urgence sans pouvoir me poser. Je constatais que mon activité intellectuelle et ma mémoire étaient fortement altérées. Les douleurs physiques augmentaient, mais mes besoins, y compris ma santé, passaient toujours en dernier. J’ai commencé à pleurer de plus en plus fréquemment ; la moindre contrariété augmentait considérablement mon niveau de stress.
Je développais des insomnies ; j’étais à peine réveillée que je me sentais déjà exténuée physiquement et mentalement, agressée par ma to-do list. J’angoissais de me retrouver seule avec mes 3 filles, et je commençais à ne plus supporter mes enfants malgré tout l’amour que je leur portais. Je devenais à mon tour agressive verbalement et la tentation était grande de l’être physiquement, je me protégeais inconsciemment en me détachant affectivement d’eux…
Sentir que je pourrais mettre mes propres enfants en danger à plus ou moins court terme a été mon premier déclic pour comprendre que j’étais moi-même en danger. Je ressentais une grande culpabilité : comment pouvais-je en arriver là alors que je voulais le meilleur pour notre famille et donnait mon maximum ? Je ne me reconnaissais plus, je ne me sentais plus ni femme, ni épouse, mais seulement (mauvaise) mère.
Un matin, je n’ai pas réussi à me lever. Mes forces m’ont abandonnées d’un coup, je ne parvenais même plus à soulever les jumelles hors de leurs lits à barreaux. Je me souviens avoir passé la matinée allongée avec les enfants s’occupant tant bien que mal autour du lit en attendant que mon mari rentre. Un signal d’alarme du type gyrophare rouge clignotant s’est alors allumé en moi, je savais qu’il fallait trouver des solutions de toute urgence pour ne pas que les conséquences pour les enfants et moi ne deviennent trop préoccupantes.
Mais malgré ma volonté, j’avais l’impression de me trouver emprisonnée dans un sombre tunnel et de me heurter à un mur à chaque solution envisagée, impression renforcée par le contexte réel de confinement. Appeler à l’aide demande un surcroît d’énergie que l’on ne se sent parfois plus capable de fournir. L’entourage ne comprend pas nécessairement cet état et ne décèle pas toujours que derrière la petite demande, il y a un grand appel au secours.
Mon mari trouvait que j’exagérais, ne comprenait pas que je réclame de l’aide extérieure alors que d’autres mamans s’en sortaient sans problème avec davantage d’enfants ; il essayait de compenser par lui-même en investissant davantage d’énergie, dans une logique d’efficacité qui venait de m’épuiser moi-même.
Heureusement, quelques semaines plus tard, notre aînée a pu à nouveau être accueillie à l’école pendant le confinement (mon mari étant sollicité professionnellement dans la crise sanitaire), ce qui a contribué à apaiser la gestion quotidienne, et j’ai pu faire à nouveau appel à des baby-sitters pour me soulager.
Au même moment, j’ai lu le livre “Mère épuisée” de Stéphanie Allenou, dans lequel je me suis retrouvée, et j’ai suivi un séminaire en ligne sur le burn-out par Mon Coaching Pep’psy qui m’a beaucoup aidée à comprendre ce que je vivais et à trouver des clés pour en sortir, même si je découvrais en même temps avec stupeur qu’il faudrait facilement 6 à 12 mois en moyenne pour cela. J’ai pris conscience que ma balance demandes/ressources était complètement déséquilibrée, et que ma priorité absolue était de prendre soin de moi, en commençant par réintégrer des temps personnels dans l’agenda familial. J’ai alors compris l’enjeu fondamental de la détente en complément du sommeil, dans un quotidien rythmé par la rentabilisation du moindre temps ou geste.
La première ressource que j’ai réinvestie presque malgré moi fut de me remettre à écrire. J’écrivais des chroniques auto dérisoires de mon quotidien survolté sur les réseaux sociaux, ce qui me servait d’exutoire. L’écriture et les échanges qui en découlaient me procuraient une nouvelle énergie insoupçonnée mais en parallèle, gérer la tentation de comparaison voire de dépréciation sur Instagram par exemple ne fut pas chose aisée. J’ai progressivement appris à relativiser, à me détacher de la pression de la perfection et de la connexion, en m’attachant à ce que je voulais réellement : un quotidien complètement imparfait mais heureux, malgré les circonstances. A travers ces publications, j’ai par ailleurs reçu un soutien inattendu de connaissances ou inconnus qui m’encourageaient non seulement à vivre ces journées mais aussi à exploiter ce talent d’écriture. Elles m’ont aidée à me faire confiance, à me lancer quelques mois plus tard dans la rédaction professionnelle et réaliser un rêve de jeunesse qui m’habitais : devenir journaliste.
Une clé qui m’a également aidée à vivre plus positivement ces journées fut de les offrir pour des intentions, souvent bien plus préoccupantes que ma situation. C’était souvent la seule prière à ma portée, et donner un sens, un fruit immédiat à mon quotidien le rendait plus léger.
Sortir d’un burn-out est aussi un chemin d’humilité ; je redécouvre petit à petit la simplicité de demander de l’aide, quitte à avoir l’audace de déranger. Dans une société individualiste, nous avons perdu ce sens du service rendu gratuitement sans contrepartie, on se sent redevable. Or, solliciter, c’est parfois rendre service à des personnes heureuses de se sentir utile, et c’est aussi reconnaître cette interdépendance vitale : sans les autres, nous ne pouvons rien.
Je me suis ainsi accrochée à ce lien social comme à une bouée. Dans cette épreuve marquée par un certain isolement et une forme de solitude, on ne mesure pas le bienfait d’une visite, d’une invitation ou d’une proposition de sortie…Visites d’ami(e)s si précieuses pour discuter ou garder les bébés pendant que je filais faire une sieste, mais aussi sorties qui, malgré le défi que cela représente logistiquement avec des multiples et/ou nerveusement avec des enfants vifs, m’apportent toujours une vraie bouffée d’oxygène tandis que les enfants s’occupent différemment avec d’autres. Dans un burn-out parental, peu perçoivent d’ailleurs ce qui se vit, du fait du contraste immense qu’il peut y avoir entre l’attitude à l’extérieur, lieu de ressourcement, et le chaos du quotidien à la maison. Je m’organise désormais différemment dans les moments que j’identifie “à risque” (principalement lorsque je dois m’occuper seule des 3 enfants en même temps), je fais appel à des baby-sitters, je prévois systématiquement d’inviter des amies avec leurs enfants le mercredi après-midi ou de débarquer chez elles avec les miens !
Avec nos familles éloignées et en attendant de trouver un mode de garde pérenne (il fut bien difficile de devoir se justifier et se battre davantage suite à un refus de place en crèche à temps partiel), j’ai découvert le soutien si précieux d’un réseau de proximité sur lequel m’appuyer : amies, mamans du quartier, de l’école, des activités des enfants, qui se proposent pour des conduites, de l’aide dans les nombreux imprévus, s’invitent pour un café…
En parallèle, j’ai compris que nous n’étions pas égales en tempérament, rien ne servait donc de se comparer : certaines vont avoir un côté plus perfectionniste, d’autres une plus grande résilience, une sensibilité/ un engagement émotionnel plus fort, une résistance physique moindre… L’important était que je me connaisse personnellement, avec mes forces, mes limites, mes valeurs, mon passé, mes talents, ce qui pouvais m’y avoir conduit et ce qui me permettait de rebondir, et c’est probablement l’un des meilleurs enseignements de ce moment, même si un prochain accompagnement va pouvoir m’y aider davantage.
En parallèle, nous avons aussi fait le choix d’un accompagnement conjugal et familial avec mon mari, d’une part parce que nous pensons que notre conjoint est notre meilleur allié pour progresser dans cette traversée, mais aussi parce que c’est l’occasion de retirer quelques cailloux récurrents dans la chaussure, sur lesquels la fatigue et les tensions ont particulièrement appuyés. Ce serait tellement dommage de s’en encombrer pour la route pleine de promesses qu’il nous reste à parcourir…
Je le vis aussi comme une excellente opportunité de réfléchir à ce dont j’ai vraiment envie et besoin. Si je suis heureuse de consacrer du temps à mes enfants, particulièrement dans ces années de construction du lien affectif et de la petite enfance, je constate aussi que je me ressource intellectuellement et que j’ai besoin, pour mon équilibre personnel mais aussi familial, de prendre du temps seule, que ce soit en travaillant ou différemment.
Ainsi, cette période de vulnérabilité est paradoxalement source de nouvelles forces. Aujourd’hui je me connais davantage, il m’arrive encore de craquer régulièrement, notamment parce que les nuits sont encore très chaotiques et en journée les maladies des filles depuis le début de l’hiver nous ont laissé très peu de répit, mais je suis plus attentive aux signaux d’alarme qui me préviennent que je flirte à nouveau avec mes limites et je m’attache à trouver davantage de ressources intérieures et extérieures pour éviter de revivre cela. J’en parle aussi volontiers autour de moi car la parole libère, en espérant que cela permette également à d’autres mamans de ne pas atteindre le stade critique qui ne prévient pas. A vous qui le vivez : osez appeler (lourdement) au secours, et à vous autres qui n’êtes peut-être pas concernée : osez tendre (largement) la main !
Propos recueillis par Alice de Champs
Crédit photo : Orlane Boisard
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