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J’ai eu mes enfants jeune. Avant toutes mes copines et avant toutes les femmes qui m’entourent aujourd’hui. Même si je suis profondément heureuse d’être la mère de ces petits, je souffre parfois de ce décalage qui se crée d’avec les autres.
Il fut un temps où l’on se retrouvait à n’importe quelle heure, pour n’importe quelle durée et n’importe où. A l’époque, nos journées avaient la légèreté du temps libre. Aujourd’hui, je connais aussi et plus souvent, les journées organisées, rythmées par les rituels et les besoins des enfants. Mon esprit est plus embrouillé par les multiples plannings à gérer… Et je suis, de fait, moins disponible. Bien trop souvent, je me sens souvent incapable… De réussir à prendre des nouvelles de tout le monde, de répondre en moins de trois jours au moindre texto (j’exagère un peu), d’être de tous les dîners, anniversaires, soirées, de rester concentrée sur une conversation complète. Ou bien de faire du sport comme elles, d’être au courant des dernières avancées internationales ou bien des nouvelles tendances. De ne pas savoir ceci, de ne pas connaître cela. Je suis bien trop souvent obligée de m’interrompre pour filer à la garderie. Ou bien d’entrecouper nos conversations de consignes pour mes enfants… Ou encore carrément de proposer des créneaux téléphoniques pour écouter « calmement et sérieusement » mes amies.
Quand nous sortons, je ne tiens plus après une certaine heure. Je ne m’ennuie pas, bien sûr ! Mais simplement j’ai deux enfants en bas âge. La fatigue que accumulée est pesante, lourde. Mon corps a besoin de se reposer pour pouvoir assurer chaque journée. Ils sont finis les matins tranquilles où je pouvais me lever à 10h ! Du lundi au dimanche, je suis à pied d’œuvre dès 7h (quand ce n’est pas plus tôt !)
Je me sens parfois si vieille de les voir réfléchir au bar dans lequel ils pourront poursuivre la soirée… Alors que je sais que j’ai déjà baillé 50 fois et que je ne cherche plus que la compagnie de mon oreiller. Je sens me transpercer la blessure du décalage, de l’incompréhension mutuelle ou du désintérêt. Je vois bien leurs yeux dans lesquels j’imagine (sûrement) un peu de condescendance ou de pitié.
Souvent lors de dîners avec nos amis, je me sens comme à côté de la conversation. Au début, je racontais moi aussi mes préoccupations. Puis j’ai fini par réaliser que cela n’intéressait pas vraiment les gens. C’est sûr que nos soucis matériels ou les questions existentielles que l’on se pose sur les sentiments de nos progénitures sont des sujets totalement abstraits pour des gens qui ne sont pas parents ! Pourtant, comme beaucoup, quand un sujet me passionne, j’ai besoin d’en parler. Finalement, parler de mon travail me semble parfois tellement secondaire… Que je ne parle plus de peur d’être sanctionnée par des regards détournés, des paroles coupées ou des « mmh » qui censurent… Et je me sens souvent nulle et inintéressante ! L’impression que ce dont je souhaiterais discuter est bassement matériel, pas digne du moment !
Peut-être que mon « travail » n’est pas aussi important que certains autres. Et pourtant ! Je rivalise d’idées nouvelles pour faire face à tous les petits défis du quotidien. Chaque jour, je me dépasse pour aider mes enfants à grandir et pour mettre de la gaieté dans notre vie de famille. Je chante des comptines, je créé des consignes et des tableaux de routines, j’invente des recettes pour cacher les légumes, je rivalise de créativité pour expliquer tout et rien, calmer les angoisses ou créer un peu de magie. Et ce n’est pas noble. Ce n’est pas orienté vers un bien supérieur. C’est bassement pratique et appliqué à mon petit microcosme. Et je comprends très bien que ça ne fasse pas rêver.
Nous, parents, nous sentirons toujours incapables d’expliquer le bonheur de passer ses journées avec ses enfants autour de toutes leurs habitudes et de tous les soins dont ils ont besoin. Mes amis qui ne connaissent pas encore cet état y sont totalement extérieurs. Ils ne voient que la multiplicité des tâches à accomplir pour « s’occuper » d’enfants. Ils ne perçoivent ni la joie, ni le plaisir que cela procure.
Finalement, je ne suis pas triste de partir plus tôt le soir. Je ne suis pas aigrie d’être fatiguée. Cette période de ma vie est si riche et bouleversante ! Et j’en suis infiniment heureuse. Pour rien au monde, je ferai marche arrière. Non pas que je rejette cette ancienne moi qui ressemble beaucoup à mes amis ! Mais la nouvelle moi aime son quotidien rythmé, ses enfants braillards. Elle goûte cette vie qui s’anime en permanence et à laquelle elle s’abreuve jusqu’à plus soif. Il est compliqué de saisir toute l’émotion provoquée par le fait d’être mère quand on n’a pas la chance de l’être. C’est sans doute cela qui crée le plus gros décalage.
L’inévitable décalage entre celles qui sont déjà mamans et les célibataires