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Le « baby blues« , aussi appelé « blues post-partum » est pour toute femme qui le traverse un vrai moment de difficultés émotionnelles qui peut se manifester par beaucoup de larmes, mélangées aussi à des moments de joie, une grande sensibilité et un mélange de sentiments très divers allant de l’incompréhension à l’euphorie, en passant par les regrets et le doute. Son intensité et le contenu émotionnel de celui-ci varie en fonction de chaque femme, mais ce blues post-partum n’est le plus souvent pas grave, transitoire (plusieurs jours à plusieurs semaines) et réversible mais il n’en demeure pas moins que chaque mère qui traverse cette période doit se sentir vraiment soutenue dans sa (nouvelle) maternité. Pour certaines femmes, cet épisode passager dure dans le temps et la détresse psychique s’ancre en elle, se transformant alors en une réelle « dépression post-partum ».
Pour mieux comprendre et donc mieux aider les jeunes accouchées ou être douce envers soi-même, pour celles qui vivent cette situation, un petit tour d’horizon dans la psychologie féminine, de la mère et de la relation mère-enfant.
Sarah Bidlowsky, psychiatre et spécialiste de la dépression post-partum, décrit ce moment comme un « vécu douloureux subjectif, un moment émotionnel incompréhensible, sans gravité, fait de larmes de tristesse subite et transitoire survenant dans les jours mêmes où devraient se célébrer un heureux évènement ». Cette définition décrit parfaitement cette situation très étrange qui fait cohabiter deux réalités distinctes :
Cette double facette de cet évènement à la fois heureux en soit mais potentiellement très difficile pour la maman qui traverse ce blues post partum, rend la compréhension de ce phénomène difficile pour elle : « Mais pourquoi j’arrive pas à profiter de mon bébé ? » ; « Mais pourquoi tout le monde se réjouit sauf moi ? » ; « Mais pourquoi je ne suis pas la plus heureuse du monde ? ». Ces pensées peuvent alors entrainer des sentiments d’auto dépréciation maternelle, de culpabilité : « J’arrive même pas à bien m’en occuper », « Je suis nulle », voire de grande blessure narcissique, qui peuvent encourager cette tristesse et surtout abîmer le lien entre la mère et l’enfant.
De plus, s’ajoute à cette réalité la réalité du bébé, qui présente de nombreux besoins, qu’il n’a absolument pas la capacité de différer. Cela présente une grande exigence pour la mère qui peut lui paraitre insurmontable en ce temps de débordement émotionnel et psychique.
Tout le monde, globalement, s’accorde à dire que ce moment du post-partum est un moment assez confus, un peu « sur un nuage » où la fatigue de la nuit se mélange avec les heures du jour et où la joie laisse parfois couler quelques larmes causées par une sensibilité exacerbée. Le rythme change, la fatigue s’installe, l’allaitement se met en place et cela peut représenter de réelles difficultés pour la mère.
Nous observons bien évidemment, une confusion, une intrication entre le soma c’est-à-dire le corps, et la psyché. A ce moment-là comme jamais, les changements physiologiques et corporels entraînent des modifications psychiques. La femme a vécu neuf mois dans un état de grande joie pour la plupart, ou en tout cas d’excitation et potentiellement de stress lié à cette naissance prochaine, avec la dose d’hormone qui le permet. Une fois celle-ci arrivée, le stress et l’excitation disparaissent, laissant place à un grand vide dans un premier temps, permettant par la suite la relation avec le bébé. Situation à laquelle il faut évidemment ajouter la présence d’un climat hormonal tout à fait nouveau et auquel la femme doit se réadapter. Cette situation de lâcher prise au moment de l’accouchement puis juste après, en post partum immédiat, peut être tout à fait nouvelle pour certaines femmes et susciter beaucoup d’angoisse. L’enfantement c’est-à-dire la naissance est donc un évènement physiologique et psychique.
Plus profondément, nous observons une confusion au niveau des places de chacun et donc au niveau générationnel. Pour un premier enfant, la mère devient la grand-mère, la fille devient la mère, le conjoint devient le père et le père devient grand-père ! Cela implique de nouvelles places et par conséquent de nouvelles identifications possibles qui posent question à la mère (« Mais à qui vais-je m’identifier à présent ? ») et peut contribuer à fragiliser l’état émotionnel suscitant des doutes, un éventuel sentiment de solitude, de perte de repère, à l’origine de ce débordement émotionnel. Même si cela se vit intensément pour une première grossesse, ces questionnements peuvent se rejouer à chaque fois qu’un nouveau bébé arrive, puisque la naissance vient toujours questionner cela. La posture de jeune maman qui surgit à chaque nouvelle naissance, change notre rapport au monde et nous rend plus fragiles. Enfin, le couple qui (re)devient parent entraine de nombreux remaniements et alors que certaines retombent amoureuse de leur homme, amant devenu père, doté d’une nouvelle posture de responsabilité, rassurante, apaisante voire attirante pour la femme, certaines prennent du temps avant de s’habituer à cette nouvelle responsabilité qu’il endosse et les (re)positionnements de chacun peuvent prendre du temps. Cela ne signifie en aucun cas que le moment où le charme (re)surgira n’arrivera pas !
Cette nouvelle relation n’est pas simple à aborder pour toutes les femmes. Ce petit être n’est qu’un être de besoin, peu dans la relation au tout début, il va falloir attendre quelques semaines, et les exigences de sa petite existence sont telles que nous ne pouvons sous aucun prétexte essayer de différer les réponses à lui apporter. Le caractère essentiel de la mission maternelle peut peser très lourd sur les épaules de la mère et représenter pour elle non pas une belle responsabilité à honorer mais un poids (trop) lourd à porter. Beaucoup de femmes évoquent avec beaucoup d’humilité leurs difficultés à s’approprier cette relation dans les premiers temps de la rencontre et la nécessité de prendre du temps pour conscientiser ce qui est en train de se passer et se laisser aller, peut-être un peu plus tard, à la simplicité de la relation entre eux deux.
« La mère est nostalgiquement renvoyée à la situation de sa propre naissance et se trouve massivement replongée dans une réactualisation de ses conflits infantiles restés irrésolus », Sarah Bidlowsky.
Cette phase du post-partum est à la fois très mystérieuse et en même temps d’une grande logique. La mère qui le devient, donne naissance à un enfant et c’est en donnant la vie qu’elle revit, qu’elle réactualise des choses qu’elle a pu vivre quand elle était bébé. Même si cette toute petite enfance ne s’avère pas du tout traumatique, elle peut, par son caractère régressif, donner lieu à quelques angoisses. C’est par ce mécanisme là également que la mère, en se mettant à « se penser », à « se vivre » bébé (inconsciemment) revit ses premiers jours et s’ajuste ainsi à son bébé qui a besoin d’une mère très empathique et à son service. C’est comme si la mère se « mettait au niveau » de son bébé pour mieux s’accorder à lui. Cette « mise à niveau » requiert une importante énergie psychique, inconsciente évidemment, et suggère chez la nouvelle accouchée d’éventuels mouvements archaïques de dépendance et d’abandon qui peuvent la plonger dans un certain désarroi.
Nous pourrions aussi parler « d’amour désordonné » (Winnicott), ou en tout cas de quelque chose qui déborde. Pendant la grossesse, le psychisme met en place un certain nombre de défenses, pour protéger le bébé, le garder bien au chaud dans une enveloppe protectrice interne. Au moment de la naissance, cette protection s’estompe brutalement. Toutes les émotions qui traversent les mères suscitées par la nouvelle conjoncture, sont vécues intensément par elle, chez qui le « pare choc anti débordement » n’existe plus comme il a existé pendant la grossesse. Toutes les émotions sont donc vécues très intensément, sans impression de finitude chez la mère qui ne parvient pas du tout à les contenir. C’est une période de grande vulnérabilité pour la mère qui doit absolument être soutenue et protégée.
Rencontrer son bébé, son enfant, quel moment attendu depuis des mois et des mois ! Vous l’avez imaginé d’une telle manière, avec pleins de projets pour lui, pour son avenir, pour sa petite vie et pour vous tous ensemble. En effet, toute mère a de grands projets, des rêves pour son bébé, pour les conditions de sa naissance, mais comme tout fantasme, la réalité vient nous rappeler qu’ils ne sont que fantasmes. Cet enfant passant l’épreuve de la réalité peut alors être un peu « décevant » pour une maman. Ce débordement émotionnel, peut aussi être causé par une petite déception, une surprise, ressenties tout au fond de son cœur qui sont alors dures à exprimer. La culpabilité peut s’ajouter à ces sentiments mêlés et ajouter sa part de complexité. Ce moment du post-partum est donc une période de renoncement à l’enfant fantasmatique, celui auquel on avait rêvé et cela peut engendrer quelques jours, quelques heures de tristesse voire de deuil.
… pour permettre une rencontre plus vraie entre la mère et son enfant
Mais cela permet la vraie rencontre ! Une fois ces idées imaginées sur le bébé, chassées, rien ne sera plus savoureux que la rencontre avec votre enfant qui est celui qu’il est vraiment avec toutes ses qualités et ses futures conquêtes. Il est lui et non pas celui que vous aviez rêvé d’avoir. Ce temps de deuil, de renoncement est essentiel puisqu’il permet l’ouverture à une relation plus vraie, plus aimante donc plus complète. Si nous n’y renonçons pas, nous ne faisons finalement aucune place à ce bébé, à ce qu’il est et ce sont nos espoirs et nos propres désirs qui prennent le dessus. C’est ainsi que nous disons que ce moment après la naissance, même s’il est parfois douloureux a une vraie fonction d’ouverture et de création de lien entre la mère et l’enfant.
Certaines formes de blues post-partum peuvent s’inscrire dans le temps (au-delà de 40 jours) et peuvent alors susciter l’attention des soignants et des accompagnants qui peuvent par leurs actions ajuster le quotidien pour soulager la mère ou envisager une prise en charge plus longue et profonde pour permettre à la mère de mieux comprendre ses affects tumultueux et l’aider, par la psychothérapie notamment à vivre de manière plus apaisée. Évidement les conditions psychiques présentes chez la mère avant l’arrivée du bébé jouent sur ce moment du post partum. Cependant, ces difficultés ressenties sont tout à fait indépendantes des conditions matérielles d’accueil de l’enfant. Même s’il est plus confortable d’accueillir un enfant dans de très bonnes dispositions matérielles, celles-ci ne protègeront en rien la mère d’un débordement en lien avec un blues post-partum (nous avons en tête le récit de nombreuses stars, probablement bien équipées sur le plan matériel et financier qui se sont exprimées sur leurs difficultés maternelles en post partum). Les émotions n’ont pas de conjoncture économique !
Sachez mesdames, tout d’abord, que cette période d’ébranlement émotionnel est normale ! Non seulement elle est normale, mais en plus elle ne prédit en rien une mauvaise relation avec votre bébé par la suite, bien au contraire ! Parce que vous avez été comme secouée, cette vulnérabilité va vous permettre d’affiner votre sensibilité, de l’ajuster avec celle votre bébé. Cela promet donc une belle relation entre vous. A cela s’ajoute le fait que ce moment peut entrainer l’introspection et donc l’ouverture à votre moi intérieur et vous permettre par la suite d’être le plus en paix possible pour débuter cette maternité, avec cet enfant tout particulièrement (même si vous êtes déjà Maman, donc !).
Le fait de savoir cet avènement psychique temporaire et normal doit vous rassurer. Ne pas maitriser sa temporalité et sa durée peut cependant vous paniquer voire vous angoisser. Mais il est important de respecter ce temps psychique c’est-à-dire de laisser à votre psychisme et à vos émotions le temps dont ils ont besoin.
Accueillir c’est accepter, c’est s’abandonner et c’est surtout ne pas culpabiliser. Un jour, quelqu’un (j’aimerai bien qu’on retrouve qui d’ailleurs 😉 ) a dit que le post partum devait être un moment extraordinaire dans lequel la mère est parfaitement épanouie, chez qui rien n’a changé à part le fait qu’elle ait donné naissance à un nouvel être ! Mais qui est cette personne !? Probablement la même qui a proposé à tout le monde de dire « profite ça passe vite » dès qu’il voit une femme qui vient d’accoucher. Profiter ? Mais profiter de quoi ? Vous avez le droit de penser qu’en ce moment il est très dur de profiter mais que, bientôt, quand ça sera votre moment, vous pourrez.
Accueillir c’est aussi accueillir son corps, laisser faire la nature qui, de toute façon, fait bien les choses. Prendre conscience de tout le chamboulement physiologique et hormonal devrait vous inviter à la douceur. Vous avez vécu quelque chose de traumatisant sur le plan médical, un accouchement et une grossesse, quelle affaire ! Votre fatigue est donc normale ! Concrètement, beaucoup de médecins conseillent évidemment de dormir au maximum en même temps que son bébé, de prendre les mesures nécessaires pour ne pas se sentir dépassé par la fatigue qui peut vraiment abîmer.
Alors gardez le cœur plein d’espérance, ce moment, même s’il peut vous paraitre long et mouillé par les larmes, va s’estomper et petit à petit les beaux jours vont apparaitre, tout doucement mais pour gonfler vos cœurs de joie. Durant cette phase du post-partum n’hésitez pas à exprimer ce que vous ressentez, à le partager, à des amis, des aînés, de la famille, sur les réseaux si vous êtes plus à l’aise, voire même à des professionnels spécialisés dans la prise en charge de ce moment de flou. Soyez douces avec vous-même, et le charme de la maternité viendra tout doucement vous conquérir et vous pourrez vous laisser aller dans une relation apaisée avec votre enfant.
Lénaïg Steffens, Psychologue
@lenaig.steffens.psy
Crédit photo : @jknorman714 (Unsplash)