C’est le soir, le moment de se coucher… Ou c’est un autre moment de la journée, qu’importe…
Avant même la naissance de bébé, tu avais déjà préparé une petite bibliothèque que tu comptais enrichir progressivement.
Et tu n’as pas attendu bien longtemps pour prendre ton enfant sur tes genoux pour lui lire une histoire en suivant page après page les aventures de Babar, de Petit Ours brun ou du héros du jour. C’était sportif, mais intense : Bébé parfois tournait les pages en avance, en sautait 3, reculait de 2, mangeait le livre, le fermait, attrapait ses pieds…
Au fil des mois il a appris à reconnaître ses héros préférés, les princesses, les pompiers, les voitures et les fruits, les couleurs, les matières… Il s’est mis à commenter fièrement en balbutiant les quelques mots retenus, à décrire les images, guettant l’approbation… Et toi, tu applaudissais avec fierté et émotion.
Et puis, tu as découvert qu’il connaissait l’histoire par cœur, au mot près. Tu n’avais pas intérêt à en changer un… Tu lui avais lu tellement de fois ! Tu as même essayé de choisir un autre livre, mais non, il s’est accroché à ses préférés. Ils le rassurent. Le comblent d’aise…
6 ans, vivement qu’il sache lire ! Que tu puisses profiter un peu, faire autre chose…
Voilà, il sait déchiffrer… Tu l’as accompagné autant que tu as pu, tu l’as inscrit à la bibliothèque et, maintenant, tu l’incites à lire… Progressivement, tu te désengages. Il est tellement fier ! Tu penses ainsi encourager ses progrès, le rendre autonome…
Mais, à ta grande surprise, la première fierté et les premiers ânonnements ou tâtonnements passés, très vite, la passion diminue. Tu ne sais pas pourquoi, ton enfant va faire passer le livre à la seconde place… Ou bien il « stagnera », ne choisissant que des BD, sans jamais vraiment sauter le pas des « vrais livres ».
Tu vas accuser l’école, et tu auras en partie raison. Tu penseras à une crise passagère, tu croiras que c’est l’âge qui veut cela… Tu croiras qu’au fond, la lecture ne l’intéresse pas plus que cela…
Mais la vraie raison, c’est que tu ne lui fais plus la lecture. Et que cet arrêt est prématuré et inopportun.
Prématuré, parce qu’il n’est pas assez mûr pour se débrouiller seul avec un livre ; parce qu’il lui manque du vocabulaire pour comprendre en lisant seul, sans le ton de ta voix pour pallier ses manques ; parce que cela devient un effort et non plus juste un plaisir.
Inopportun, parce que tu le prives (et tu TE prives) trop tôt d’un moment de partage et de communion, au cours duquel il se passe tant de choses que tu n’imagines même pas : échanges, conseils, confidences, apprentissages.
Mais comment faire ? Parfois, il faut changer de rituel…
M. raconte que sa fille, pourtant très douée, ne passait pas le stade des albums du Père Castor et s’éloignait de la lecture, alors qu’elle était en CM2. Alors, M s’est souvenue du plaisir qu’elle avait eu, jusqu’à 12 ou 13 ans, à écouter sa mère lui lire des romans… Elle s’est à nouveau assise avec sa fille pour lui lire un « vrai » livre, au moins les premiers chapitres, histoire de débrouiller avec elle les principaux personnages, l’époque, le vocabulaire caractéristique. Et M a été surprise de la rapidité avec laquelle sa fille s’est sentie assez en confiance pour continuer seule.
Y. a eu la chance d’avoir des professeurs qui, pendant les cours, lui ont lu en intégralité la plupart des œuvres classiques. Devenue professeur à son tour, elle a expérimenté les bienfaits de ce qu’elle considère comme un acte militant : accompagner – autant que possible, étant donné les horaires réduits – les élèves dans leur lecture, soit par une lecture intégrale expliquée, soit en lisant avec eux les 30 ou 50 premières pages d’un roman un peu ardu, pour éveiller l’intérêt, susciter le plaisir et l’envie, faciliter la compréhension de l’œuvre entière.
P. était pensionnaire et, le soir, au dîner, les élèves mangeaient en silence pendant qu’un professeur leur lisait un livre. Devenue maman, elle s’est souvenue du plaisir qu’elle éprouvait alors. Mais elle a surtout compris à quel point cela lui avait facilité l’apprentissage du vocabulaire, de la syntaxe et des temps utilisés à l’écrit, sans parler du développement de l’imaginaire et de la culture générale…, tout cela sans avoir l’impression de travailler. Cela lui a donné l’idée d’en faire autant quand ses enfants avaient de 7 à 12 ans. Les 3 mousquetaires d’Alexandre Dumas ou Le Cid de Corneille font désormais partie des meilleurs souvenirs de la famille….
S., quant à elle, raconte que ces moments de lecture sont pour elle des instants privilégiés de partage et d’abandon… c’est pourquoi elle choisit avec soin les livres en fonction des besoins de sa fille et de ses aspirations.
Les exemples sont nombreux, variés, probants. Pour y réfléchir davantage, le livre de Daniel Pennac, Comme un Roman, est intéressant et peut donner des idées.
Dans tous les cas, le seul remède est de continuer à passer du temps à faire la lecture à tes enfants. En plus du contenu du livre et de ses apprentissages, c’est un merveilleux prétexte à l’échange, à la confidence, à la relation.
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