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La vie de famille connaît des hauts et des bas. Que les enfants soient petits ou moins, que les parents soient obsédés par leur travail ou non, que les grands-parents soient assez proches pour apporter une aide, il y a toujours des virages plus difficile à négocier que d’autres.
Nous avons beau établir les meilleurs cadres possibles, nourrir le lien avec nos enfants au maximum ou nous rendre disponibles en tous temps ; parfois cela échoue. Ce n’est la faute de personne. Il est des périodes où la sauce ne prend pas. Des périodes où tout le monde voudrait être ailleurs plutôt qu’ici, ensemble. Dans ces moments, la tension est palpable. Nous marchons un peu sur des œufs, ne savons plus comment rétablir le lien ou au moins le canal de communication. Nous ne comprenons plus tellement les codes qui régissent nos relations en famille ici sous le même toit. Ce sont des périodes au cours desquels nous ne reconnaissons plus nos enfants ou parfois nous-mêmes. Un rien déclenche une crise, tout le monde est à fleur de peau. Nous peinons à distinguer les éclaircies entre les nuages et tout nous semble lourd et pesant.
Comme ces périodes sont éprouvantes pour les parents qui ont à cœur de bien faire. Nous voudrions tous évoluer dans une publicité Cyrillus peuplée de sourires et aussi lumineuse que le soleil qui semble habiter tous les cœurs. Mais voilà, la réalité est différente. La réalité nous présente des phases plus faciles que d’autres. Elle donne du relief à nos vies : que seraient nos vies de famille s’il n’y avait pas un peu d’orage de temps en temps ? Comment apprécierions-nous la douceur des matins qui chantent s’ils n’étaient pas enfermés entre des matins plus gris et lugubres ? Et pourtant, lorsque la tension se prolonge, nos cœurs souffrent. Nous essayons de reprendre la situation en main, nous multiplions les efforts pour améliorer les choses mais malgré l’acharnement, rien n’y fait. Cela qui nous laisse exsangues, perdus, en colère, en échec.
Pour jongler avec la vraie vie et remonter la pente glissante de l’épuisement, j’applique maintenant la même recette : je cesse de « faire de l’éducation » et je me concentre sur le bien-vivre ensemble. Vous vous rappelez l’adage ironique qui laisse un arrière-goût un peu funeste « avant, j’avais des principes ; maintenant, j’ai des enfants » ? Je me l’applique de temps en temps. Lorsque tout part en vrille, que nous ne pouvons plus nous voir en peinture, que nos rapports se limitent à des consignes répétées X fois (on a perdu le compte), je laisse simplement tomber. Je range mes principes au placard et j’accepte tout ce qui finalement, avec un peu de recul, est acceptable. Comme les chambres non rangées, les cabanes sur le lit de papa et maman, le nutella au petit-déj, le vélo en pyjama après le bain, les dîners déguisés, les assiettes non terminées…je laisse tomber certains principes. En précisant bien à l’assistance que tout ceci n’est que temporaire. Les enfants, mêmes les plus petits sont tout à fait capables de comprendre le caractère exceptionnel de la chose. J’explique qu’en ce moment, j’ai compris qu’ils étaient fatigués, lassés et donc que je suis plus conciliante. Mais que nous reviendrons à certaines habitudes plus tard, quand le réservoir de tout le monde sera de nouveau rempli.
Au début, c’était abyssal. Si je lâchais, allais-je totalement perdre le contrôle ?Allais-je perdre la face ? Mes enfants sentiraient-ils qu’ils avaient gagné cette bataille ? Enregistreraient-ils que s’ils criaient assez fort, ils finiraient systématiquement par obtenir ce qu’ils voudraient ? Etais-je faible ? Comment faisaient les autres ? Un saut dans le vide qui ressemblait à un point de non-retour, au franchissement d’une frontière interdite pour moi. Plutôt une euphorie grisante pour eux. Contre toute attente, rectifier le tir n’a pas été difficile. Je n’ai pas dû faire preuve d’un excès d’autorité pour « remettre tout le monde dans le droit chemin », les choses se sont replacées naturellement. Pas à l’identique car nous avons aussi posé de nouveaux choix, éclairés par ce lâcher-prise.
Le confinement a produit ce résultat inattendu de me mettre face à mes limites et de me faire réaliser que le monde n’allait pas s’arrêter de tourner si je lâchais un peu du lest. Il m’a aussi appris qu’être bien ensemble, en famille, ce n’était pas un acquis, un dû naturel magique. C’est un effort prioritaire. Souvent, il est plus important que tout le monde rie dans le bazar plutôt que chacun soit tendu dans un espace aseptisé. Une pizza surgelée dévorée dans la joie vaut parfois mieux que 3 brocolis avalés sous la contrainte. Des traces de sable au fond d’un lit n’ont jamais tué personne. Les devoirs peuvent attendre, le bac de linge finira par se vider, les coquillettes s’accommodent de mille façons différentes. Nous aspirons à plus, nous sommes là pour vivre ensemble.
crédit photo : Orlane Boissard