Chère institutrice,
Aujourd’hui, c’est le jour de la rentrée. Mon enfant reprend le chemin de ton école. Après deux (longs) mois de vacances, te revoilà à ton poste, prête à accueillir ta petite classe, et résolue à leur apprendre tout ce qu’ils doivent savoir.
Si j’ai envie de t’écrire aujourd’hui, c’est sans doute parce que tu vas faire partie de la vie de mon enfant durant toute cette année. Jusqu’au mois de juin, tu seras son quotidien, son monde, au même titre que notre maison et notre famille. Et s’il ne fait que passer dans ta carrière d’institutrice, lui se souviendra de toi toute sa vie.
Tu n’en n’as peut-être pas conscience mais tu es très importante pour moi, sa mère. Parce que, quatre jours par semaine, six heures par jour, je vais te confier mon enfant. Je vais très peu te croiser finalement, quelques minutes par jour seulement. Et pourtant tu auras beaucoup d’influence sur notre vie cette année.
C’est avec soulagement et appréhension que je te l’ai laissé en ce matin de rentrée. Il était un peu apeuré, mais content de retrouver ses copains. Nous étions encore tous les deux assez impressionnés par toi, que nous ne connaissons pas encore.
C’est étrange cette idée que tu seras son quotidien, de lui, mon tout petit. Tu vas finir par très bien le connaître : ses qualités, ses défauts, tous ces aspects de lui qui le différencient des autres élèves.
Je suis un peu jalouse de ce dont tu vas être témoin chaque jour. J’aimerais être une petite souris et me faufiler dans ta classe. Je voudrais l’observer être ce petit enfant qu’il est à l’école, forcément différent de celui qu’il est à la maison. Toi, sa maîtresse, tu seras le premier témoin de ses progrès et de ses réussites.
La première année d’école, il me semblait tellement étrange de me dire que mon enfant allait devoir grandir en dehors de moi et de notre foyer. A présent, il a une vie hors du cocon qu’on lui a construit. Il ne m’appartient plus totalement. Il m’échappe un peu plus chaque jour et j’oscille entre angoisse et fierté.
J’angoisse de ce quotidien loin de la maison. De ce qu’il voit, de ce qu’il entend. Chère maîtresse, ce n’est pas contre toi, mais j’ai le sentiment de le lâcher dans le monde, sans pouvoir tout contrôler. Je ne peux pas tout savoir de qu’il rencontre, et cela m’inquiète.
Mais c’est pour tout ce qu’il découvre et apprend à l’école que je suis fière de lui. Il en revient un peu plus grand chaque jour, un peu plus indépendant. Il plane pourtant un mystère sur ces longues journées passées à tes côtés. Je ne sais que peu de choses de ce que vous faites ensemble, car il ne me raconte quasiment rien ! Mais je sais qu’il accomplit beaucoup. Une journée dans la vie d’un enfant c’est énorme, c’est long, et il y a tant à découvrir. Et toi, chère maîtresse, tu es son guide dans cette journée bien remplie.
C’est pourquoi tu es si importante à mes yeux. Tu es la garante de ce qu’il vit en dehors de la maison et de notre famille. Ton rôle dépasse celui de l’apprentissage. C’est toi, qui pendant ces longues journées, sera celle qui le console, le rassure, le gronde aussi parfois. Ce sera toi son cadre de vie, sa référence dans l’espace scolaire. Il sera aussi étonné de me voir dans sa classe qu’il le sera quand on te croisera au supermarché ou dans la rue. Nous constituons à nous deux, deux espaces de vie bien distincts pour lui, et pourtant primordiaux.
Je t’admire autant que je te crains, je crois. Ton opinion sur mon enfant m’importe tellement, et en même temps j’attends beaucoup de toi. Je me sens toute petite à côté de tout ce que tu sembles lui apporter.
Je t’admire tellement de prendre en charge ces vingt-cinq élèves toute la journée. Tu t’es donné pour mission de les faire grandir, de leur apprendre des choses nouvelles et de leur faire découvrir le monde. J’en serai incapable. J’avoue que je ne peux m’empêcher de ressentir une petite culpabilité (omniprésente dans la maternité !) de ne pas pouvoir assurer cette mission moi-même. Quand il me raconte tout ce qu’il fait, toutes les activités que tu lui proposes, que je vois les dessins et les bricolages qu’il rapporte à la maison, je me dis que je n’aurai jamais pu avoir la patience et le talent de lui apprendre à faire tout cela. C’est précisément pour ça que tu es là, tu me diras. Et je t’en remercie.
Je n’ose pas toujours te demander comment s’est passée la journée. Tellement de parents te sollicitent. Tu dois aussi avoir hâte de te débarrasser de tes élèves et de rentrer chez toi, où bien sûr, une autre partie de ton travail (et pas des moindres) t’attend.
Oui, car il y a toute cette partie invisible de ta mission que nous, parents, nous ne voyons pas, et que bien souvent, nous ne valorisons pas assez. C’est aussi pour cette part cachée, mais ô combien importante, que je voulais te mettre à l’honneur aujourd’hui. Tu cherches, tu dessines, tu imprimes, tu écris, tu découpes, tu colories, tu colles, tu plastifies, tu froisses et tu superposes pour que tout soit prêt quand tes petits élèves entrent dans ta classe.
Traditionnellement, on remercie la maîtresse à la fin de l’année scolaire. Mais tous les petits cadeaux que je pourrai te faire à Noël et à la fin de l’année n’exprimeront pas assez ma gratitude à ton égard, pour avoir supporté, soutenu, épanoui, et même aimé mon enfant. Par cette lettre, je veux te dire merci à l’avance. Merci de ce que tu vas apporter à mon enfant cette année. Merci de m’aider à le faire grandir. Nous n’allons que peu nous voir durant les mois à venir, mais, en te confiant la prunelle de mes yeux, un lien bien particulier nous unit.
Bonne rentrée, et bonne nouvelle année, chère institutrice