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Témoignage Sophie Barut : Quand le handicap s'invite dans le couple et le rend plus fort

 
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L’histoire de Cédric et Sophie commence comme celle de beaucoup de couples… Une rencontre décisive, du romantisme, des passions communes, des métiers prenants et des projets à n’en plus finir ! Leurs huit premiers mois de mariage filent à toute allure. « Nous rêvions d’une famille nombreuse, de développer nos talents artistiques, de trouver des métiers qui nous laisseraient plus de temps », se souvient Sophie Barut, aujourd’hui sculpteur.

Pourtant une épreuve va radicalement changer le cours de leur vie, les obligeant à ralentir et à se redire « oui » quotidiennement. Le 21 mai 1998, Cédric, qui avait l’habitude de partir à vélo pour décompresser en rentrant du travail, ne rentre pas. Accident, coma, traumatisme crânien, paralysie, les mots s’entrechoquent pour Sophie qui découvre alors une toute autre réalité de sa vie d’épouse.

Comment reconstruire son couple touché par le handicap ? Comment réapprendre à aimer son mari souffrant de pertes de mémoire ? Comment redevenir une épouse et oser le rêve le plus fou : fonder une famille ? Vingt ans plus tard, à 45 ans, Sophie, mère de quatre enfants, témoigne avec espérance de leur parcours de couple atypique dans son livre Je rentrerai avant la nuit

Comment décririez-vous votre vie avant l’accident ?

J’ai le souvenir d’une vie à cent à l’heure avec chacun un métier très prenant. A 30 ans, Cédric était un tourmenté, très passionné, un faux calme qui avait besoin de sa dose quotidienne de sport. Et moi, à 25 ans tout juste, j’étais moins torturée, plus pragmatique. Nous étions tous les deux très amoureux. Jeunes mariés, nous commencions tout juste à nous ajuster l’un à l’autre et à apprivoiser nos différences, quand l’accident est venu nous stopper en plein vol.

Que s’est-il passé le 21 mai 1998 ?

Comme il en avait l’habitude, Cédric est parti faire du vélo après sa journée de travail. « Je rentrerai avant la nuit » a été sa dernière phrase avant de partir, car j’étais toujours inquiète lorsque la nuit tombait. Mais la nuit est arrivée et Cédric n’est pas rentré. J’ai commencé à m’inquiéter et suis partie en voiture pour aller à sa rencontre. Sans succès.

J’ai alors appelé la gendarmerie et là, tout est allé très vite. J’ai appris que mon mari avait été renversé à 2 km de la maison et qu’il avait été percuté par une voiture, de front, à vive allure. Le chauffeur avait bu, le choc avait été très violent et Cédric ne portait pas de casque. Coma d’emblée. Soins de première urgence sur place, puis transport à l’hôpital en hélicoptère. Je n’ai pu le voir qu’au petit matin, après une nuit blanche dans la salle d’attente des Urgences.

Quand a été posé le diagnostic ?

Très vite le mot « grave » revenait tout le temps dans la bouche des médecins. Ainsi que « pronostic vital engagé »… Des mots auxquels je n’étais pas habituée. Les médecins me donnaient l’impression d’être surmenés dans ce service de réanimation et nous donnaient des nouvelles dans un couloir, dans une salle d’attente, entre deux portes. Nous buvions leurs paroles, mais j’étais perdue pour interpréter leur vocabulaire médical. Je n’arrivais pas à « habiter » cette nouvelle réalité.

« Quand se réveillera-t-il ? » « Marchera-t-il ? » « Aura-t-il des séquelles ? ». A mes premières questions, les médecins répondaient : « il faut déjà qu’il vive », « on verra la suite après », « ne plus marcher n’est rien à côté des séquelles cognitives qu’il peut garder », « il faut attendre » . J’ai très vite compris qu’ils n’avaient pas toutes les réponses. Le cerveau humain est tellement complexe qu’à 2 millimètres près, une fonction peut être touchée ou épargnée.

Combien de jours a duré le coma de votre mari ?

Cédric est officiellement sorti du coma au bout d’un mois en ouvrant les yeux à la demande, même s’il n’a rien pu faire d’autre pendant de longues semaines. Il n’a réellement communiqué avec nous qu’au bout de cinq mois : avec le pouce d’abord (oui/non), puis en sélectionnant les lettres de l’alphabet que nous faisions défiler devant lui. Il n’a parlé qu’au bout d’un an. Et il est rentré définitivement à la maison après un peu plus d’un an d’hospitalisation.

Sophie Barut, comment « vivre avec » cette douloureuse réalité ?

J’ai essayé de ne jamais me laisser envahir par mon imagination. Et de toujours regarder la réalité en face. Je me forçais à ne pas anticiper l’avenir en domptant la petite voix intérieure qui me disait : « Il est foutu », « il n’est plus ton mari », « c’est un handicapé ». Ma discipline de vie a été de regarder Cédric, de m’accrocher à ses yeux aimants et doux, de me concentrer sur lui, sa personne, ses besoins, ses victoires, ses sourires, ses chagrins… Pour toujours « incarner » le drame que nous vivions. C’était lorsque j’étais loin de lui que j’angoissais, car je ne voyais plus la personne qu’il était, mais seulement ses handicaps, ce qu’il n’était plus. Donc j’essayais d’être au maximum à ses côtés !

Et puis, après mes visites à l’hôpital, je m’autorisais à pleurer de longues minutes, à exprimer ma colère, mon incompréhension. J’écrivais tout ce qui me traversait l’esprit sur un journal intime. J’avais un ou deux amis à qui je pouvais tout confier et qui m’écoutaient patiemment. Un ami me répétait sans cesse : « Tu ne tiens pas l’avenir, concentre-toi sur le présent ! » Tandis qu’un autre, moine, m’encourageait : « Relis ta journée en contemplant les bonnes choses, les progrès. Contempler le mal n’a jamais fait grandir » .

Je me devais de rester souriante auprès de lui. Passée la porte de sa chambre, j’étais une autre. Car j’ai très vite senti qu’il se battrait avec plus d’ardeur si c’était par amour pour moi, plutôt que pour lui seul. Et moi aussi, mon moteur a vite été de me battre pour lui, pour lui donner envie de vivre. Lui soutirer un sourire à chacune de mes visites était mon objectif. Nous construire une belle vie mettrait le temps qu’il faudra, mais j’étais intimement persuadée que nous y arriverions !

Comment avez-vous appris à communiquer quand la parole faisait défaut ?

Nous lui parlions, donnions des nouvelles de chacun, lui laissions des photos. Je lui tenais la main, le massais. Je peaufinais sa toilette (visage, cheveux, mains) pour qu’il soit toujours le plus beau possible, même inconscient. Et je lisais à haute voix des revues et lui commentais l’actualité : nous riions beaucoup dans ces moments-là. Nous écoutions ensemble ses chansons préférées.

Vous découvrez petit à petit les effets « secondaires » liés à l’accident comme des colères impressionnantes, des troubles de la mémoire, une tendance à la désinhibition, qui changent le comportement de votre mari. Comment allez-vous apprendre à les dépasser ?

Je ne connaissais pas du tout les effets du Traumatisme Crânien avant. La personne modifie effectivement ses réactions, c’est très déroutant ! Cédric a des difficultés à avoir des initiatives, du mal à se repérer dans l’espace et dans le temps, et souffre de problèmes d’amnésie. C’est l’amnésie qui reste la plus lourde à gérer au quotidien. Comme il a beaucoup d’auto-dérision, l’humour nous a parfois aidés à surmonter les difficultés. Mais c’est toujours pareil : l’humour, c’est quand on va bien… Comme tout le monde, il nous arrive de connaître des hauts et des bas !

Les enfants et moi-même sommes de moins en moins impressionnés par ses colères, car nous savons de mieux en mieux les éviter ou les calmer. On recadre, on discute, on dédramatise pour vite passer à autre chose. Et puis ces effets secondaires sont de moins en moins fréquents.

Comment s’est faite cette redécouverte de l’autre ? Comment devenez-vous la femme d’un « nouvel » homme ?

Lorsqu’il était dans le coma, j’étais dans la bataille. Je savais qu’à tout moment il pouvait mourir. Je mettais toute mon énergie pour lui donner de l’attention, lui parler, lui faire écouter de la musique, le toucher pour le stimuler, le faire revenir à nous. Puis est arrivé le réveil, très long…

En premier ce sont ses yeux, son regard, qui ont jeté un pont entre le Cédric d’avant et le Cédric tétraplégique cloué dans son lit que j’avais en face de moi. J’ai vite retrouvé le même regard, pétillant, rieur, aimant et doux du Cédric que j’avais épousé. Je me raccrochais à ses yeux, véritables miroirs de l’âme. J’étais cependant très inquiète de savoir ce qui se cachait derrière ce regard… Les médecins m’avaient tellement mise en garde : peut-être allait-il devenir grossier, désinhibé, aphasique, égocentré, indifférent, sale, boulimique, avec des tocs, amnésique, sans communication possible…

Alors quand on a commencé à pouvoir échanger, j’ai petit à petit fait connaissance avec le nouveau Cédric et la plupart de mes craintes sont tombées. Certes il était différent et avait des handicaps cognitifs, mais il gardait l’essentiel du Cédric que je connaissais : sa foi, ses valeurs, sa poésie, sa douceur, sa gentillesse (sauf quand il avait des accès de colère, fort heureusement, ponctuels). Et surtout, il m’aimait toujours autant et me demandait tous les matins en mariage, ayant oublié les douze mois avant l’accident.

Sophie Barut, pensez-vous que le regard, que l’on porte sur les choses, finit par les influencer elles-mêmes ? Et que vivre le handicap de façon positive s’impose pour avancer ?

Nous ne pouvons pas faire grand chose contre ce genre de drame, qui nous tombe dessus, mais nous avons tout pouvoir sur notre façon de l’accueillir. Je dis bien : « tout pouvoir ». Ma liberté s’exerce là : dans ce que je vais en faire. Pour moi ça a été de l’ordre de la survie, du challenge, du grand défi que je voulais remporter : transformer cette tragédie en victoire. Je voyais qu’il ne nous restait plus que notre amour et j’ai voulu m’appuyer dessus de toutes mes forces. Ceci dit, lorsque le chagrin était trop fort, il nous arrivait de pleurer tous les deux.

Avant cette tragédie, je disais souvent « ne pleure plus, ça va aller », mais depuis je me suis rendue compte combien les larmes pouvaient apaiser, faire sortir des sentiments destructeurs qui restaient enfermés. Alors je disais à Cédric : « vas-y pleure, pleurons tous les deux. C’est dur ce que nous vivons, autorisons-nous à pleurer un bon coup ! » Ensuite nous séchions nos larmes et nous concentrions sur les progrès, les projets, les amis, les marques d’affection de nos proches…

Peut-on dire que votre amour est passé du « je t’aime » des débuts au puissant « je veux t’aimer » de toute une vie ?

Oui. J’avais pris la décision de ne pas l’abandonner, jamais. Et ça, très vite. Mais j’avais aussi pris la décision de ne pas le faire juste par devoir, dans la résignation : je voulais être heureuse, voir ma vie en grand, continuer à rire, sortir, avoir des amis, des passions. J’avais 25 ans. J’ai donc appris petit à petit à me connaître et à repérer ce qui me ressourçait pour lui donner en retour cet amour, sincère, vrai et stimulant. Je ne voulais surtout pas faire semblant, faire l’autruche.

Etant croyante, je demandais à Dieu de me donner toujours plus d’amour pour mon mari. Je sentais bien que cet amour ne venait pas de moi et me suis souvent sentie comme un « canal » entre Dieu et Cédric. Je le demandais tout le temps dans mes prières. Car aimer une personne amnésique n’est pas tous les jours facile !

A quel moment avez-vous retrouvé toute votre place d’épouse, et non plus de soignante à ses côtés ?

Environ cinq ans après l’accident, j’ai pris la décision de ne plus m’occuper de la toilette de mon mari. Je m’étais rendue compte que ce « maternage » n’était pas dans l’ordre des choses. Je devais rester épouse et ne plus m’occuper de son intimité. Ce fut comme une révélation ! A partir de ce jour-là, son corps revêtait sa part de mystère. Nous avons pu concevoir notre premier enfant, alors que cela faisait plus d’un an que nous le tentions sans résultat. Je suis convaincue que c’est le fruit de cette juste distance !

Comment avez-vous réussi à vous blinder contre les regards indélicats qui jugent votre couple « hors norme » ?

C’est un difficile combat ! Longtemps j’ai été anéantie par des remarques blessantes ou gênée par des regards insistants, des silences embarrassés. Je ne sortais Cédric que si j’étais en forme, prête à affronter ces regards. Puis, avec l’âge, l’expérience, j’ai commencé à prendre de la distance et à prendre les choses avec humour. Ce qui est sûr c’est que j’ai vécu 25 ans sans connaître une seule personne handicapée, donc je peux comprendre la difficulté à entrer en relation avec nous. Je me souviens de comment j’étais avant…

Parfois, lorsque je suis en forme, je réponds avec douceur (enfin j’essaie !) en expliquant en quoi la remarque est blessante. A mon médecin de famille, qui disait toujours que Cédric était mon cinquième enfant, j’ai fini par rétorquer que c’était faux et, que je me battais tellement au quotidien pour qu’il garde sa place de mari et de père, que j’apprécierais qu’il arrête de parler de lui comme cela. Il ne le dit plus depuis.

Quelles étaient les sources de réconfort dans les moments difficiles ?

Un bouquet de fleurs, un petit plat, un mot dans ma boîte aux lettres… Tellement de marques d’amitié m’ont portée ! Ma soeur était ma confidente. Elle m’écoutait, dédramatisait, accueillait ma peine sans juger. C’était un vrai soutien ! Et comme elle a beaucoup d’humour, nous riions aussi souvent ensemble ! Les amis de Cédric, qui sont vite devenus les miens, ont également été très présents dès que j’en avais besoin et le faisaient rire comme avant. Un coup de fil et ils débarquaient ! Certains soirs, on improvisait des tablées de dix à la maison.

Un jour, une amie nous avait invités à fêter son anniversaire avec une trentaine de personnes, mais son appartement était en étage sans ascenseur… Ni une, ni deux, tout a été déménagé dans notre maison où nous avons improvisé une belle fête avec plein d’inconnus. Cédric était aux anges ! Je suis toujours très touchée quand quelqu’un vient parler à Cédric, sans nécessairement le connaître beaucoup. J’aime voir qu’il est considéré !

Pourquoi écrire un livre aujourd’hui ? Que souhaitez-vous transmettre ?

J’aurais aimé avoir un livre comme celui-là entre les mains, il y a 20 ans, quand tout a basculé. Un témoignage positif. Je n’ai jamais trouvé de témoignage évoquant une épouse assez « folle » pour rester avec un mari traumatisé crânien et fonder une famille, nombreuse qui plus est. Cela m’aurait épargné des moments de doute et d’abattement.

Je souhaiterais transmettre l’idée qu’il n’y a pas de fatalité. Qu’il faut bien identifier les forces vives sur lesquelles s’appuyer et, si l’on en est sûr, foncer ! Mes forces vives ont été notre Foi, notre amour, la capacité de Cédric à aimer et à transmettre, nos amis, nos familles, l’écriture, le dessin, la sculpture, la poésie… Ces vingt années m’ont donné le recul nécessaire pour me dire que j’avais réellement fait le bon choix. Il y a eu des moments sombres, mais je ne regrette pas de m’être lancée dans cette aventure. Nos quatre enfants sont là, bien dans leur peau. La vie de famille est certes sportive, agitée parfois, mais elle fonctionne.

Le bonheur tout de même

Tout n’est pas parfait, loin de là et rien n’est définitivement acquis, mais l’amour circule et on avance. On tombe, mais on se relève. J’ai appris que le bonheur ne réside pas dans l’absence de difficultés, mais bien dans la façon dont nous les vivons. Cédric a ainsi tenu sa promesse de rentrer avant la nuit : il se bat par amour pour moi, pour ses enfants, contre la nuit du désespoir et de l’angoisse. Cédric est bien rentré avant la nuit : elle ne nous a pas engloutis !

“Il y a une chose plus triste à perdre que la vie, c’est la raison de vivre, plus triste que de perdre ses biens, c’est de perdre son espérance.” L’écrivain Paul Claudel nous mettait déjà en garde il y a quelques années… Merci Cédric et Sophie de nous le rappeler par votre magnifique témoignage !

Laetitia d’Hérouville

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